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HISTOIRE FRANCISCAINE D'ICI

UN TÉMOIN D’ICI… PÈRE EUSÈBE-HENRI MÉNARD

À l’occasion de l’année dédiée aux consacré(e)s, le pape François écrivait dans sa lettre apostolique (1) que le premier objectif consistait à « regarder le passé avec reconnaissance, (…) à vivre le présent avec passion (…), à embrasser l’avenir avec espérance ».
Par ailleurs, dans l’encyclique La lumière de la foi, François rappelle que la foi se transmet « par contact, de personne à personne, comme une flamme s’allume à une autre flamme. »

Ainsi, en cette année 2016, il me semble heureux de rendre grâce à Dieu pour un « homme de chez nous » qui fut et qui demeure une de ces « flammes » issue de la famille franciscaine ayant donné toute sa vie pour l’annonce de l’Évangile tant aux siens qu’à ceux qui lui ont été confiés, ici et ailleurs dans le monde.

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Eusèbe-Henri Ménard (3) est né à East Broughton en Beauce (Québec) au sein d’une famille modeste de onze enfants. Ses parents, Charles Ménard, cordonnier, et Marie-Anna Labbé, ouvrière dans une filature, lui enseigneront de solides valeurs chrétiennes favorisant son choix de vie franciscaine en 1937. C’est en 1941 qu’il sera ordonné prêtre.

Tout comme François d’Assise vécut sa foi avec les facettes originales de son tempérament demeurant à l’écoute des appels de son époque, on peut affirmer qu’Eusèbe-Henri Ménard marcha sur ces traces en étant, lui aussi, à la fois original, audacieux et à l’écoute des besoins de son temps.

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Alors qu’il prêchait des retraites, c’est en 1946 qu’il débute à Montréal l’Œuvre des Saints-Apôtres constatant que plusieurs jeunes et adultes désiraient devenir prêtre mais ne le pouvaient pas car ils n’étaient pas formés selon le circuit classique traditionnel du temps, du petit séminaire au grand séminaire.

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De plus, il voyait avec tristesse combien la place des laïcs au sein de l’Église était restreinte pour ne pas dire, improbable, à cette époque. Or, le père Ménard porte en lui cette conviction profonde que l’Église a besoin de leaders chrétiens laïcs engagés pour collaborer à la mission et à l’évangélisation !

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Nous sommes encore loin du Concile œcuménique Vatican II qui sera convoqué par saint Jean XXIII.

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D’autre part, la dimension mystique de François d’Assise marquera profondément le père Ménard. La radicalité avec laquelle saint François vécut l’Évangile le séduira au point que dans sa Règle de vie, père Ménard écrira combien François est l’homme de l’Évangile ayant suivi le Christ pleinement et que Christ est sa règle vivante. Toute sa vie, il se nourrira de cette contemplation de l’amour de Dieu tout comme François, mon frère.

Prédicateur réputé, il le restera jusqu’à la fin de sa vie tant à Ricardo Palma au Pérou qu’à Montréal lors des conférences annuelles de la Fondation Père Ménard. Il interpelle, fascine et entraîne les jeunes et les adultes à suivre Jésus dans leur vie comme laïc engagé, religieux, religieuses ou comme prêtre : Avez-vous découvert dans votre vie quelque chose d’assez bon pour vouloir en vivre toujours ? (4)

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Précurseur visionnaire, il promeut l’existence de leaders chrétiens au cœur de la société. Les questions qu’il soumettait à ses auditeurs demeurent d’actualité en 2016. Derrière chacune d’elles se cache un ardent désir de voir ses contemporains vivre une vie riche de sens, épanouie et enracinée en Dieu tout comme François d’Assise actualisa le message de l’Évangile.

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À tous, il propose la question incontournable du sens de la vie soulignant combien Dieu veut faire de chacun un chef d’œuvre. Mais nous, le voulons-nous ? Souvent, dit-il, nous préférons demeurer un bloc de marbre plutôt que de nous laisser façonner à l’image de Jésus.

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Ensemble, soyons levain dans la pâte du monde! Tout baptisé est appelé à la sainteté. Son message est sans ambigüité: Il ne faut être ni savant, ni puissant, ni héros, ni vedette pour devenir un saint. « Car tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus-Christ » (5)

Pour le père Ménard, être laïc engagé en Église, c’est une vocation aussi importante que toute autre vocation religieuse active ou contemplative. C’est, dira-t-il, prendre au sérieux son sacerdoce royal. Il conçoit la vocation des laïcs à part entière comme une collaboration efficace et active au ministère presbytéral : la main qui soutient le prêtre soutient le monde, martèle-t-il.

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Sans relâche, il stimule chaque chrétien à vivre une spiritualité incarnée dans la réalité du quotidien en tenant compte des nécessités du monde environnant favorisant ainsi un discernement des évènements vécus : les interroger, les écouter et les réfléchir tout en donnant une place essentielle à la puissance de la prière.

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Dans le texte « Orientations pour vivre une vie conforme à l’Évangile » composé en espagnol, père Ménard écrit :

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Bien plus, avec l’ouverture de nous-mêmes au travail de l’Esprit, nous lutterons pour découvrir le moyen dont le Christ voudrait vivre aujourd’hui en nous et dans le monde, essayant de réaliser cela au fonds de notre être. De cette façon, nous permettrons que le Christ transforme lentement et progressivement notre vie. Et uniquement par le moyen de cette transformation, nous contribuerons au renouvellement du monde.

 

En 1945, père Ménard rencontre Hector Durand, époux de Claire Farrell. Lors d’une retraite fermée, ce dernier est bouleversé par le récit de Lazare (Lc 16, 19-31) au point qu’il s’engage aux côtés du père Ménard donnant de son temps, de ses talents et de son énergie. Ce laïc engagé est reconnu comme co-fondateur de l’Œuvre des Saints-Apôtresnote6.

En son temps, François d’Assise reconnut aux laïcs une véritable vocation leur donnant la possibilité d’entrer dans un cheminement spirituel, avec lui, à la suite du Christ. Cette collaboration du Père Ménard avec les laïcs avant Vatican II est une profonde intuition enracinée dans cet héritage.

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Dès le début de l’Œuvre, tous collaborent à la mission d’humanisation et d’évangélisation: promouvoir, former et accompagner, jeunes et adultes, dans le discernement vocationnel aux ministères variés en Église (laïcs) et à la prêtrise, particulièrement dans les régions où il manque de prêtres et d’ouvriers apostoliques. Cette dimension missionnaire fait partie intégrante de la vocation des Missionnaires des Saints-Apôtres. (60

En 1978, père Ménard affirmait : 

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Ne méprise pas ton frère parce qu’il est d’une race différente de la tienne, car nous appartenons tous à la même race, celle de Dieu. Il ne suffit pas d’aimer les autres. Il faut le montrer. Vous êtes les distributeurs des biens de Dieu et non leurs propriétaires. Il insistait: L’humanité tout entière a besoin de toi, là où tu te trouves, unique et, par conséquent, irremplaçable. Qu’attends-tu pour t’engager ? (8)

Bien que père Ménard n’a ni argent ni soutien conséquent, les fondations et les œuvres se multiplient au Canada : séminaires, centre de retraite, sanctuaire de Chertsey… Des projets semblables germent aux USA et en Amérique latine. Cela en était-il trop ? En 1962, père Ménard vivra l’épreuve de sa vie.

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Obligé providentiellement de quitter le Canada, il vit cela comme une nuit obscure à l’image d’autres fondateurs et fondatrices. Confronté à cette terrible souffrance qu’il considère comme un échec cuisant, il dépose sa situation auprès du Ministre général franciscain à Rome. Ce dernier l’incite à fonder une œuvre identique à la première, au Pérou, où il recevra l’appui d’un évêque franciscain. Là, débutant à nouveau sans rien, il se fie encore et toujours à la Providence qui nous précède.

Cette triple séparation de sa famille humaine, de sa famille franciscaine et des Saints-Apôtres fut un temps de questionnements, de souffrances et d’incompréhensions. Il confiera plus tard que les heures désespérées de nos vies sont les heures de Dieu !

Prêtre heureux, parfois tourmenté, toujours fasciné par l’admirable plan de Dieu pour l’humanité, père Ménard s’enracine profondément comme François d’Assise dans l’Écriture Sainte.

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En plus des Béatitudes, trois autres péricopes bibliques forment le roc de sa vie spirituelle et de son apostolat : Jn 15, 1-17 (La vigne véritable), Ep. 1, 3-14 (Le plan divin du salut) et 1 Co 12, 12-31 (La comparaison du corps).

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Sur sa recommandation, au moins une fois dans sa vie, chaque chrétien devrait écrire, à genoux, chacun de ces textes bibliques parce qu’ils parlent d’unité et de diversité. Tout baptisé devrait les avoir présents en permanence à ses yeux, à son intelligence et en son cœur car notre mission est d’être semblable à Jésus. Que chacun de nos actes quotidiens témoigne de la dimension même de la vie de Jésus. Ainsi, chaque instant de notre vie a valeur d’éternité et s’enracine dans le cœur de Dieu. (9)

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Père Ménard n’est pas tant un écrivain qu’un prédicateur de feu! Sa force consistera à mettre en lien les textes de la Bible avec les documents officiels de l’Église et de nombreux textes d’auteurs issus de cultures et de langues différentes. Peu à peu, il se révèlera comme un maître de vie spirituelle.

Le pape François rappelle combien il est vital qu’aujourd’hui l’Église sorte pour annoncer l’Évangile à tous, en tous lieux, en toutes occasions, sans hésitation, sans répulsion et sans peur. (10)

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Homme d’écoute et de réconfort, père Ménard contemplait justement l’amour de Dieu dans les gens rencontrés au hasard de la vie (11), faisant du stop sur une route d’Amérique latine où un chauffeur de camion lui partage le sens de sa prière, dans un aéroport avec un enfant cireur de chaussures, à la porte de sa maison accueillant un prêtre en difficulté, au cœur des villes avec un clochard (12) ou encore, visitant régulièrement des lépreux. En chacun, il reconnaîtra le visage du Christ. On ne peut devenir vraiment homme, on ne peut devenir vraiment femme qu’en approchant le pauvre qui nous fait face et qui est aussi en nous. Si je n’approche le pauvre en face de moi, comment puis-je approcher le pauvre qui est en moi ?

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Ces diverses rencontres émondent le père Ménard. Elles seront son chemin de transformation et de purification du cœur. Cette attitude est enracinée dans son enfance. À sa maman qui l’envoyait faire quelques achats, combien de fois ne rapportait-il pas la monnaie ou même des vivres lui disant qu’il venait de rencontrer un pauvre qui en avait besoin plus qu’eux !

L’eucharistie, sommet et centre de sa vie spirituelle, trésor des trésors, père Ménard rappelle aux prêtres : Mon frère prêtre, célèbre la messe comme si c’était la première et la dernière fois de ta vie. (13) 

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Il appuiera son ministère sur Marie, les Saints-Apôtres, saint François d’Assise et de nombreux témoins de la foi d’hier à aujourd’hui. On peut parler d’une « ronde des saints » qui alimenta sa vie spirituelle et sa mission.

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Homme de prière, fidèle à l’oraison (14), source et fécondité de sa mission, père Ménard témoignera dans son testament: telle est votre oraison, telle est votre vie, tel est votre apostolat.

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Lors de ses nombreux périples, il rencontra parmi d’autres gens, Mère Teresa de Calcutta, Mgr Romero, Paul VI et Jean Paul II qu’il accompagna durant sa visite pastorale au Pérou en 1985.

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Les yeux fixés sur Jésus, portant sur lui la Parole de Dieu, il demeurait attentif au souffle de l’Esprit à tout instant. De ces voyages, il rapporte une conviction qui l’attristait. Ce qui manque le plus dans l’Église, affirmait-il, ce sont des éveilleurs de vocations, des éducateurs de la foi, des témoins qui osent affirmer publiquement à la fois la grandeur du sacerdoce, la joie d’être prêtre et la fierté d’être chrétien ; c’est-à-dire, des personnes qui savent révéler au cœur de l’être humain la vocation que Dieu a gravée en chaque être humain.

À la fin de la vie, une seule question nous sera posée. Quand j’ai eu faim, m’as-tu donné à manger ? Quand j’ai eu soif, m’as-tu donné à boire ? Quand j’étais sans habit et sans abri, m’as-tu donné à me vêtir ? (15)

 

Humaniser et évangéliser sont les deux poumons spirituels de la vie du père Ménard.

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Sauvegardons notre spiritualité en nous identifiant aux plus pauvres, et plus notre mission sera difficile, plus nous comprendrons qu’ils ont besoin de nous. (16)

 

Ami des pauvres, père Ménard nous invite à garder ouvert nos mains, nos oreilles, nos yeux, notre cœur pour continuer la mission de Jésus et des apôtres au cœur du monde : proclamer les Béatitudes par tous les pores de notre être et par toutes les facettes de notre vie.

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Un des plus grands biens que nous puissions faire aux autres ne consiste pas seulement à partager nos propres richesses sinon à les aider à découvrir et à révéler leurs propres richesses, insistait-il.

Changer les cœurs par la force de la Parole de Dieu qui est Esprit et Vie, c’est la mission du chef spirituel, prêtre ou laïc, c’est la mission des Missionnaires des Saints-Apôtres. (17)

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Père Ménard termina son pèlerinage de transformation dans l’amour le 26 mars 1987. Les deux Sociétés fondées en 1946 et 1962 s’unirent en 1995 lors d’une Assemblée générale au cours de laquelle j’eus la joie d’être ordonné prêtre.

À ce jour, plus de 1 500 prêtres, religieux, religieuses ainsi que de nombreux laïcs sont passés par des lieux de formation ou des paroisses MSA au Brésil, Cameroun, Canada, Centrafrique, Colombie, Pérou, USA, Venezuela. Ces dernières années, de nouvelles fondations voient le jour au Vietnam, en Indonésie et au Congo (Kinshasa).

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Diverses œuvres forment la Famille spirituelle M.S.A.: la Fondation Père Ménard (18), le Sanctuaire Marie Reine des Cœurs de Chertsey, the Holy Apostle College and Seminary à Cromwell (Connecticut USA), le centre charismatique Le Jourdain (Montréal), CIMA une œuvre pour les jeunes défavorisés de Lima (Pérou), l’œuvre A.R.C.A. pour les enfants au Brésil et en Colombie ou encore celle à Jakarta (Indonésie).

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Comme le père Ménard n’a pas eu peur de la nouveauté de l’Esprit Saint qui s’est accomplie en lui et en ses premiers frères et soeurs, à notre tour, n’ayons pas peur de déployer toutes les facettes de notre cœur missionnaire.

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L’Église a besoin plus que jamais de laïcs engagés, de prêtres, religieuses et religieux épanouis et « en marche » qui vont substituer à leurs vieux cœurs blasés par la monotonie d’un tic-tac routinier, des cœurs jeunes qui veulent battre au rythme de l’Évangile et du renouveau conciliaire. (19)

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Aux couples, père Ménard rappelait que la force la plus grande dans le monde, c’est l’amour. Vous pouvez aimer avec la puissance du cœur de Dieu.

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C’est vous-même qui êtes le temple de Dieu et c’est en vous que se développe la liturgie la plus importante pour le Père céleste. (20

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Poverello du XXe siècle, Père Ménard est un apôtre des vocations, un missionnaire visionnaire, un prophète audacieux et inspirant pour notre temps qui a réveillé bien des cœurs assoiffés et affamés de vie et d’amour.

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Qu’ensemble, en cette année de son Centenaire, nous témoignions de la vie sur les pas de Jésus de ce fils de notre terre car comme l’écrit à juste titre le pape François: « C’est à travers une chaîne ininterrompue de témoignages que le visage de Jésus parvient jusqu’à nous » note21!

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Puisse le témoignage de vie du père Ménard être un jour reconnu.

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Ce texte fut publié dans la revue Prêtre et Pasteur, édition de décembre 2015, pour souligner le centenaire du P. Eusèbe Ménard. Nous sommes reconnaissants à la direction de cette revue pour l'autorisation de publier ici.

NOTES

 

1. Lettre apostolique du Pape François à tous les consacrés du 21 novembre 2014, #1.1 #1.2
2. La lumière de la foi, #37 #38
3. Prier 15 jours avec Père Eusèbe-Henri Ménard, volume 138, Nouvelle Cité, Paris, 2010 (traduit et édité en américain, espagnol, vietnamien et bientôt en indonésien).
4 .Prier 15 jours…, p. 40.
5. Ga 3, 26-29.
6. Art. 210 Constitutions et Normes.
7. Prier 15 jours…, p.23
8. Ibid., p.41
9. Ibid., pp. 52-53
10. La joie de l’Évangile, #23
11. Prier 15 jours…, p.62, p.91
12. Ibid., pp.97-102 
13. Ibid., p. 67
14. Ibid., chapitre 7
15. Ibid., p. 91
16. Texte de présentation de la Règle de Vie, p. 15
17. Prier 15 jours…, p. 19
18. Fondation Père Ménard, 1195 rue Sauvé Est, Montréal, H2C 1Z8, 1-800-6657645.
19. Ibid., p.18
20. Ibid., p.36
21. La lumière de la foi, #38.

vol. 121, no 1 • 15 mars 2016

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