Préservée jusqu’à ce jour de l’anonymat après un long voyage dans la conscience des hommes, La Via Dolorosa s’annonce sur ce mur de pierres devant moi. Je suis interpellé : quel étrange espace pour commémorer une étape du Chemin de la croix. L’heure est matinale, les enfants accourent insouciants sur les pavés le sourire accroché aux rêves.
Des ententes historiques conclues entre les diverses églises chrétiennes présentes ont scellé dans la pierre des responsabilités réciproques et… elles tiennent toujours !
Ces routes de pierres calcaires lissées par la circulation des passants donnent une impression d’éternité, de conformité à l’histoire des lieux. À proximité, des chats faméliques attendent au passage la main bienveillante des pèlerins ou la bouchée égarée perdue au fond des caniveaux. La vie s’exprime, intense, entre chaque interstice. Tout dans ces ruelles millénaires raconte ce qui fut jadis le sens et la profondeur des choses et ce qui est toujours une réalité tangible et harmonieuse pour les habitants de la Terre Sainte. Vous aurez sans doute compris que je suis dans la vieille ville à Jérusalem. Le célèbre écriteau indique la voie aux voyageurs parmi les immondices et d’inextricables réseaux de fils suspendus aux voûtes. Les épices, dattes, lampes à l’huile, étoffes, menoras, chapelets en bois d’olivier et pamplemousses sur les étales rivalisent d’ingéniosité entre eux au milieu de l’agitation publique afin de séduire les regards. Pourtant, cette voie « intérieure » menant au Saint-Sépulcre offre au cœur humain bien des défis tellement ce passage nécessite de notre part un effort d’attention pour ne pas basculer dans la banalité. À notre arrivée au Saint-Sépulcre, la foule est compacte, tapageuse et les chants des moines orthodoxes se succèdent de manière ininterrompue. Dans ce lieu béni où Jésus a reposé, où son corps a été déposé, règne un tumulte sonore permanent. Rien n’échappe au brouhaha des cantiques, des prières, des instruments de musique. Dans ce lieu immense, point de silence. Une fois à l’intérieur du tombeau de Jésus… un état de bien-être s’installe en moi pour quelques secondes, le moment est solennel, important. L’émotion est palpable. À l’exemple des luminaires suspendus exaltés par la ferveur religieuse, les intentions de toute part fusent, les larmes coulent, les cierges brûlent… Pourtant, dans l’intimité chaleureuse de cette grotte, un frère orthodoxe, sobrement vêtu de noir, veille à la fluidité des pèlerins qui entrent. Une tendresse naturelle émane de cet homme. Je le sens sincère, touché par la grâce du lieu. Sans parler, je le remercie. Du regard, il incline légèrement la tête en signe de respect… et déjà, je suis sorti. Impossible d’y être plus longtemps, d’autres attendent. Imaginez… s’y rendre la nuit, quelle aventure intérieure cela serait! Point de bruit, je me coucherais sur la pierre du ressuscité et prendrais le temps de sentir dans le silence la vie émerger au plus profond de mon être. Ici, l’ami Jésus s’invite en nous avec discrétion. Il n’aime pas la dissipation, mais la présence, la nôtre... complètement! À l’extérieur, à quelques mètres, les humanités se bousculent. À ce tumulte, la réponse des moines est totale ! Elle est une affirmation : ils chantent. Ces mélodies imposent le respect, dictent leurs intentions aux autres locataires ; et ils sont nombreux ! Des ententes historiques conclues entre les diverses églises chrétiennes présentes ont scellé dans la pierre des responsabilités réciproques et… elles tiennent toujours !
À 15 heures, les franciscains ajoutent leurs prières en latin au tohu-bohu quotidien et les voilà en procession au travers la foule scandant la Lectio Divina. Pour ce qui est du silence, il attend, docile, son tour de garde. Mais, au fil des siècles, il a compris qu’il devait se taire sans doute à tout jamais.