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NOTRE PETITE SŒUR L’ESPÉRANCE

ESPÉRANCE

Devant le conflit Syrien, l’arrogance du Président russe Poutine, l’annonce possible de l’accession de M. Trump à la maison Blanche,  le réchauffement climatique et la croissance des inégalités, l’espérance peut se montrer bien chétive de nos jours, écrivent les auteurs de Notre petite sœur l’Espérance. Pour eux, l’espérance est à chercher dans « le coude à coude avec nos frères et nos sœurs », à l’intérieur des luttes individuelles et collectives qui nous  invitent à être debout.  La quête spirituelle est une des constituantes de cette espérance. La plus profonde prend naissance dans une vie partage qui donne « confiance en l’avenir »
Même la personne déprimée ou suicidée porte ou emporte avec elle l’espérance… de ne plus souffrir.

Dans son poème sur la petite espérance, Charles Péguy fait dire à Dieu :

Ce qui m’étonne, c’est l’espérance.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout…
La petite espérance s’avance. 
Et au milieu entre ses deux grandes sœurs (la foi et la charité), elle a l’air de se laisser traîner. Comme une enfant qui n’aurait pas la force de marcher.
Et qu’on traînerait sur cette route malgré elle.
Et en réalité, c’est elle qui fait marcher les deux autres, et qui les traîne.
Et qui fait marcher tout le monde et qui le traîne.
Et les deux grandes ne marchent que pour la petite.

©Depositphotos

Bien fragile notre espérance à l’heure où M. Poutine prépare sa population à un conflit nucléaire pour justifier ses mouvements de troupe. À l’heure où, sous les yeux d’une communauté internationale impuissante, le conflit syrien a fait des millions de réfugiés, plus de 300,000 victimes, dont plus de 17 000 dans les geôles de Bachar Al-Assad, sous la torture. À l’heure où les hôpitaux et les convois humanitaires sont systématiquement bombardés.

Bien frêle notre espérance quand une démocratie déprimée permet à un narcissique comme M. Trump de se faufiler à la présidentielle du plus puissant pays du monde.

Bien chétive notre espérance quand, à la conférence de Paris, en décembre 2015, la communauté internationale reconnaît la nécessité de limiter à 1,5 degré Celsius la croissance de la température du climat, tout en adoptant des engagements qui nous mènent à 3 degré Celsius d’augmentation; quand le Secrétaire général du Conseil mondial de l’énergie, Christoph Frei nous rappelle que, durant les 30 dernières années, nous avons décarbonisé notre économie de 1% par année, alors que pour atteindre les objectifs de la Conférence de Paris, il faudrait atteindre un rythme de décarbonisation de 6% par année !

Devant la croissance de l’inégalité des richesses, devant la lenteur des dirigeants à mettre fin aux paradis fiscaux, devant la nécessité d’une vigilance continuelle de la population sur les choix du gouvernement quant au budget, à la politique de l’eau, de l’énergie, de l’occupation du territoire et de la propriété des ressources, faut-il se surprendre d’une espérance qui titube parfois ?

À la question « Tu te résous au fiasco? »,  Éric-Emmanuel Schmidt, dans La nuit de feu, répond : « Je me résous à la lutte incessante. Selon moi, la victoire réside dans le combat, pas dans son issue. » Plus que dans l’objectif atteint, notre espérance se situe dans le processus pour y arriver car c’est là que se fabriquent les humains.

Quand St-François regardait vers le ciel, il ne voyait pas que de la matière et des objets. Il ne voyait pas des centres de profits, des « vaches à lait ». Il voyait « Frère Soleil »  et « Sœur Lune », la création comme un cadeau reçu de Dieu, signes vivants d'un Dieu qui aime les hommes, les femmes, et que Dieu a doté de tous les dons qui les nourrissent, les soutiennent et les lient les uns aux autres. Dans la tradition catholique, nous parlons de Dieu qui se fait connaître à l'homme à travers deux livres: le livre sacré de l'Écriture, et le livre de la création. Nous entendons la voix d’un Dieu bon, aimant, qui nourrit et soutient avec force, comme l’exprime l’inépuisable diversité de Sa création.

La tradition franciscaine a toujours affirmé que la création n'est pas pour « être dominée ». Nous pouvons faire ce que nous voulons avec toute chose créée, à la condition de prendre soin de la création parce que c'est la création qui prend soin de nous. Durant plusieurs années, j'ai siégé au conseil de direction, puis comme président de Franciscans International, un organisme non gouvernemental (ONG ) aux Nations Unies, travaillant pour la paix, la protection des pauvres et le soin de la création. Nous faisions partie de discussions internationales sur l'enjeu du développement durable, une option réalisable et capable d'établir un agenda économique qui attaque le problème de l'extrême pauvreté sans, en même temps, sacrifier la planète dans le processus. On entend souvent le commentaire qu'il est impossible d'atteindre en même temps ces deux objectifs. Pour élever le niveau de vie des pauvres, il faut ruiner la planète. Ce n'est tout simplement pas le cas.

Dans la génétique de l’espérance, les molécules d’autodestruction n’existent pas. L’espérance peut être fatiguée, fragilisée, écrasée, mais dans son ADN, réside toujours une lueur, comme le brûleur du poêle à gaz, toujours allumé, attendant l’ordre de s’enflammer. Même la personne déprimée ou suicidée porte ou emporte avec elle l’espérance… de ne plus souffrir.

L’espérance se camoufle justement dans les lieux et les moments de désespoir apparent. Et si elle se voit poussée dans ses derniers retranchements, elle se cabre et se braque devant la tentation de l’indifférence, de la capitulation, de la paralysie pour ouvrir la voie à la résilience.

Nous projetant dans l’action pour ne pas que la vie se meure, elle reprend vigueur précisément dans le coude à coude avec nos frères et sœurs et nous porte littéralement. L’espérance agit pour l’esprit et le cœur comme l’eau et les aliments le font pour le corps. L’espérance et la vie s’appellent réciproquement et s’engendrent mutuellement.

Notre espérance alors, où fixe-t-elle ses ancrages ?

Elle se nourrit de tous ces groupes d’hommes et de femmes qui réfléchissent et agissent pour le respect des droits de tous, pour un meilleur partage des richesses, pour une inclusion plus large, pour une fiscalité plus juste, pour un État qui se donne les moyens de se doter de services d’éducation, de santé, de culture accessibles à tous et toutes.

Elle s’alimente aux efforts de ces femmes et ces hommes qui, individuellement et collectivement, travaillent à libérer de façon urgente notre économie de la quête de croissance à tout prix et de l’utilisation des énergies fossiles pourvoyeuses des gaz à effet de serre, pour éviter aux générations futures de souffrir des conséquences des extrêmes climatiques.

Elle s’abreuve de la quête de spiritualité de tous ces hommes et ces femmes qui cherchent à vivre d’un esprit de tendresse et d’amour envers eux-mêmes, envers les autres, envers l’environnement et qui tentent d’assumer leur responsabilité de faire exister le seul Dieu crédible qui soit : un Dieu passionné de la dignité humaine et de toutes formes de vie. Une spiritualité qui nous appelle à devenir artisans et artisanes de la bonté et de la beauté du monde.

Elle s’assouvit des révisions de vie des équipes du MTC (Mouvement des travailleurs chrétiens), ces petites communautés qui embrassent tous les aspects de la vie et qui donnent des mains à l’espérance. Celle-ci surgit là où, ensemble, nous nous donnons du pouvoir et où nous nous transformons en acteurs et actrices de changement.

Notre espérance ne bénéficierait pas de la même amplitude si, d’abord et avant tout, elle ne s’ancrait dans notre vie de couple où, sans banaliser les différends et les difficultés,  la tendresse, l’humour, la complicité, le sens de l’émerveillement, les valeurs partagées, la faculté d’indignation devant l’injustice ne se pointaient à chaque aurore pour tisser la toile du bonheur et du plaisir de vivre ensemble.

Notre espérance n’aurait pas la même dimension sans la joie de vivre de nos enfants et petits-enfants qui savent qu’ils peuvent compter sur nous pour travailler à établir les conditions de la confiance en l’avenir.

Quoi de mieux que les rires, les sourires et les regards pétillants d’Étienne, Anne, Vincent et Xavier pour donner à notre temps une saveur d’éternité ?

vol. 121, no 4 • 15 décembre 2016

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