L’annonce du Concile Vatican II a soulevé une telle espérance, portée par des décennies de recherche et d’efforts têtus pour recentrer la vision de l’Église pour aujourd’hui, celle dont notre monde a besoin et qui apporte l’Évangile. Devant la poussée de l’Esprit à faire du neuf, s’organise aussi la résistance et le conservatisme plein de déceptions.
L’ouverture au monde est le défi immense à relever. Jean XXIII nous engage dans un dialogue vivant.
Dans l’Église de demain, les petites communautés de croyants vont aussi se réunir pour se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu, car Dieu n’est pas seulement présent dans l’Eucharistie, mais aussi dans sa Parole.
Lors de sa conférence de l’hiver 2013 au Centre Saint-Pierre, Mgr Paul-Émile Charbonneau disait qu’il avait eu le bonheur de vivre les quatre années du concile Vatican II dans une Église de printemps remplie de beaux bourgeons mais que, maintenant, il avait la tristesse de vivre dans une Église de fin d’automne.
UNE SOURCE D’ESPÉRANCE
Le Concile Vatican II, annoncé par Jean XXIII en janvier 1959, est considéré par beaucoup d’historiens et de commentateurs, comme l’événement le plus important du 20e siècle. Il a été porteur d’espérance non seulement pour les catholiques, mais pour tous les chrétiens et même pour les hommes et les femmes de bonne volonté du monde entier. L’Église, sous la gouverne d’un pape âgé mais d’une audace incroyable, était capable de se remettre en question pour retrouver sa fidélité à l’Évangile et annoncer celui-ci d’une façon plus crédible. Mais l’enthousiasme et l’optimisme suscités par le Concile ont vite cédé la place au désenchantement.
Au moment du Concile, notre Église du Québec était, au plan institutionnel, un poids lourd dont le réseau de maisons d’enseignements, d’hôpitaux, d’œuvres sociales et charitables nous protégeait du monde extérieur en nous accompagnant très étroitement de la naissance à la mort.
Or, le Concile nous a fait passer de l’Église société parfaite hiérarchisée que nous avions toujours connue, composée du clergé qui commande et des laïcs qui obéissent et tiennent peu de place, à une Église-communion qui donnait la primauté au peuple de Dieu. Une telle primauté conférait tout son sens au baptême et à l’engagement des chrétiens pour la diffusion du message évangélique, et, sans nier l’infaillibilité de l’évêque de Rome, affirmait la collégialité des évêques, rendant ceux-ci non plus seulement responsables de leurs Églises locales, mais de toute l’Église universelle, en les associant au gouvernement de l’Église entière.
© photo : BenCap
UNE CONVERSION DIFFICILE
Les enseignements du concile Vatican II ont vite été oubliés. et, avec le retour à une Église cléricale, autoritaire et centralisatrice, l’Église du Québec s’est écroulée et on a assisté à son déclin institutionnel, vu par beaucoup comme une tragédie ouvrant la voie à un avenir très sombre : baisse importante de la pratique religieuse, retour à la vie laïque de centaines de prêtres, de religieux et de religieuses, assemblées dominicales clairsemées, paroisses en voie de disparition et en regroupements constants, vieillissement et extinction progressive du clergé et déclin des communautés religieuses d’hommes et de femmes, pastorale en voie de disparition et remplacée par des regroupements ou des réorganisations des communautés paroissiales, ressources financières de plus en plus rares, etc.
Un des grands théologiens du concile Vatican II, le P. Marie-Dominique Chenu, o.p., que j’ai eu le plaisir de rencontrer à Rome, avait une très grande admiration pour le pape Jean XXIII car, disait-il, pour la première fois de son histoire, l’Église a un pape qui aime profondément le monde et qui, au lieu de le voir comme une menace pour l’Église et de le condamner, demande aux chrétiens d’engager avec lui un dialogue constructif pour promouvoir la paix et la justice, et de s’ «adonner, avec une volonté résolue et sans aucune crainte, à l’œuvre que réclame notre époque.» (Jean XXIII, octobre 1962). Il invitait l’Église à manifester la validité de sa propre doctrine en renonçant aux condamnations, et à mettre fin à sa longue période d’opposition rigide envers la société moderne et sa culture. Jean XXIII ne disait-il pas, dans le discours d’ouverture du concile Vatican II : «Aujourd’hui, l’Église préfère recourir au remède de la miséricorde».
Cette vision de l’Église et de son action dans le monde n’a guère survécu à Jean XXIII.
Néanmoins, on peut penser que les difficultés actuelles de l’Église vont la forcer à devenir moins pyramidale, moins cléricale, moins centralisatrice et moins autoritaire. Avec la disparition presque totale du clergé, l’Église de demain sera, par défaut, moins cléricale. Cinquante ans après Vatican II, l’Église semble n’avoir rien appris du monde moderne et continue de voir celui-ci comme une menace à son autorité et à la foi des chrétiens.
L’OUVERTURE AU MONDE
Un grand nombre d’États dans le monde vivent en démocratie et accordent les mêmes droits aux femmes et aux hommes. Notre Église trouve normal que, dans nos sociétés démocratiques, le peuple élise ses représentants à tous les niveaux de gouvernement, mais elle croit que la démocratie n’est pas pour elle. Personne ne demande que l’Église institue l’élection des évêques ; on souhaite seulement que les nominations d’évêques ne se fassent plus dans le plus grand secret, mais soient précédées d’une large et vraie consultation des laïcs, comme cela serait normal dans une Église-peuple-de-Dieu. Dans cette Église-communion, ses membres doivent être «les pierres vivantes qui servent à construire le temple spirituel», «le sacerdoce saint, présentant les offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus», et les personnes chargées « d’annoncer les merveilles de celui qui (nous) a appelés à son admirable lumière ». (1Pierre, 2,4-9). C’est ce que Mgr Charbonneau appelait le code postal du concile Vatican II : 1P2 4A9.
Si l’Église de demain veut être crédible et respectée, elle devra accorder aux femmes le statut d’égalité que celle-ci ont obtenu dans les sociétés modernes. Elle devra leur permettre l’accès aux ministères, notamment la prêtrise. Que l’Église refuse pour le moment d’ordonner des femmes au sacerdoce, on peut l’accepter, mais que le pape Jean-Paul II en ait fait une vérité de foi, même si les théologiens et les exégètes ont reconnu qu’aucun texte de l’Écriture ne s’oppose de façon indiscutable à ce que les femmes accèdent à la prêtrise, cela semble un abus de pouvoir. Beaucoup de chrétiens trouvent proprement scandaleux que le P. Roy Bourgeois, un prêtre appartenant à la Maryknoll Society (une congrégation religieuse américaine) et comptant 44 ans de vie missionnaire, ait été excommunié, renvoyé de sa communauté et laïcisé parce qu’il a dit publiquement que les femmes devraient avoir accès au sacerdoce. C’est d’autant plus étonnant que, des nombreux prêtres coupables de pédophilie et des évêques qui ont été plus soucieux de l’image de l’Église que du sort des victimes de ces prêtres, aucun n’a été excommunié.
L’ÉGLISE LOCALE SE PREND EN CHARGE
Si l’Église de demain sera moins pyramidale, moins cléricale, moins centralisatrice et moins autoritaire, elle sera aussi moins romaine et plus en accord avec les sociétés et les cultures des nations où elle sera établie. Un exemple : Rome a mis fin à l’expérience des célébrations communautaires de la pénitence avec absolution collective. Le résultat est qu’on a, à toutes fins pratiques, aboli le sacrement du pardon et fait disparaître totalement les confessions individuelles.
Au cours des prochaines années, l’Église d’ici va continuer de décroître. On fermera des églises et des paroisses. Les communautés de croyants seront si petites que les ressources disponibles ne permettront plus d’importer des prêtres d’Afrique et d’Amérique latine. L’Église locale si solidement établie que nous avons connue deviendra un « petit troupeau », selon la belle expression du théologien Karl Rahner. Ces croyants se prendront en charge et se regrouperont selon leurs besoins, leurs intérêts et leurs objectifs. Les messes dominicales seront chose du passé et je pense qu’il n’y a pas beaucoup d’avenir pour les assemblées dominicales en attente de célébration eucharistique. Les théologiens nous ont appris que c’est l’Eucharistie qui fait l’Église. Ces petites communautés voudront célébrer l’Eucharistie à l’occasion et devront faire appel aux ministres disponibles.
Je pense que, dans l’Église de demain, les petites communautés de croyants vont aussi se réunir pour se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu, car Dieu n’est pas seulement présent dans l’Eucharistie, mais aussi dans sa Parole. Avec le retour de l’esprit de Vatican II, les communautés vont redécouvrir le statut théologique de l’Écriture et sa place centrale dans les quatre domaines qui forment la vie de l’Église : la liturgie, la prédication « nourrie et guidée par la sainte Écriture » (Dei Verbum, 24), la théologie, qui est fondée sur la Parole de Dieu, et la vie quotidienne des fidèles qui sera marquée par la fréquentation assidue et priante de l’Écriture (Dei Verbum, 25). En se mettant à l’écoute de la Parole de Dieu, les communautés chrétiennes vont accueillir l’Esprit et se laisser guider par Lui, et les croyants seront des témoins crédibles dans nos sociétés.
DES PASTEURS QUI OUVRENT LA VOIE
Le retour aux enseignements de Vatican II ne se fera pas par enchantement. Ce qui nous permet d’espérer un retour à l’ecclésiologie de Vatican II, c’est l’élection récente du pape François 1er dont les gestes nous rappellent tant le pape Jean XXIII. Le pape François parle d’un renforcement de la collégialité épiscopale, selon les enseignements de Vatican II, avec la création possible d’un Conseil permanent à partir de la structure existante des synodes, et qui serait plus représentatif et plus crédible que le Collège des cardinaux. Le pape François parle aussi d’une Église pauvre et attentive aux pauvres, d’une Église missionnaire tournée vers les distants, d’une Église au service de l’Évangile et avec un sens œcuménique accru.
Les paroisses d’hier seront remplacées par de petites communautés. Celles-ci auront la responsabilité de l’annonce évangélique du Christ Jésus et, pour leur travail d’évangélisation, elles devront se doter de ministres d’un nouveau type qui conviendra à leur situation et répondra à leurs besoins. Mgr Fritz Lobinger, dans son ouvrage Qui ordonner? Une nouvelle figure de prêtres, propose ce qu’il appelle, en s’inspirant de saint Paul, des prêtres « pauliniens » et des prêtres « corinthiens », les premiers étant des prêtres missionnaires qui annoncent l’Évangile et fondent de nouvelles communautés, et les seconds, des prêtres qui dirigent une communauté et président l’Eucharistie. L’Église devra avoir le courage d’instaurer les ministères nécessaires au service sacramentel et pastoral des communautés de croyants, et ordonner les personnes les plus aptes, hommes ou femmes célibataires ou mariés, à prendre charge de ces communautés.
CONCLUSION – UN DIALOGUE VIVANT
Jean XXIII, quand il a convoqué le concile Vatican II, voulait instaurer un dialogue vivant et permanent entre l’Église et le monde. Cela est possible et je souhaite que cela devienne réalité. Nous retrouverons alors cette Église de printemps dont parlait Mgr Charbonneau et qu’il a connue pendant les quatre années du concile Vatican II.