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PAROLES DE CLAIRE ET FRANÇOIS

MUTER OU MOURIR

Au tournant du 12e et 13e siècle, en Europe occidentale, le monde bascule. La féodalité cède sa place au commerce et à la finance dans plusieurs grandes villes italiennes. François, à Assise,  est témoin de cette mutation. Son statut de privilégié l’interroge. Nos sociétés vivent une époque charnière elles aussi. Les défis sont nombreux : l’équilibre social, l’écologie,  les abus du marché. Suzanne Giuseppi Testut écrit que nous sommes confrontés au même dilemme qu’a vécu François, muter ou mourir. François a choisi la bienveillance envers l’autre. Aujourd’hui, c’est nous qui sommes appelés à une nouvelle naissance.
« L'homme de Dieu François avait appris à ne pas chercher son avantage, mais ce qu'il percevait surtout utile au salut des autres ; par-dessus tout cependant, il avait le désir de se dissoudre et d'être avec le Christ. Pour cette raison, sa plus haute application consistait à se tenir libre de tout ce qui est dans le monde... »

 

(1C71)

À la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe se produit un mouvement qui s'est généralisé à toute l'Europe : le passage du monde féodal à celui du commerce et donc de la finance. François sera témoin et acteur à Assise de ce profond bouleversement qui simultanément se manifeste dans le peuple par un grand besoin d'émancipation. Lui-même vit ce changement de par les affaires de son père auxquelles il participe activement. Or, même s’il en est bénéficiaire, même si l’argent lui permet de jouir d’un statut social privilégié, un jour, cette situation va l'interroger profondément.

Emporté par cette fièvre de possession, de pouvoir et aussi de violence, ne s'est-il pas alors posé cette question : muter ou mourir ? Ses réponses, son choix de vie et sa fidélité à l'Eglise du Christ peuvent nous interroger à notre tour. En effet, jamais dans l'histoire, l'homme n'a été autant confronté que de nos jours aux conséquences de son action sur le monde. Les défis sont immenses et touchent l'écologie, l'économie, l'équilibre social, la manipulation du vivant, du génome, de l'atome, etc. Entrainés par les abus du marché, de la spéculation et du profit, nous nous précipitons vers l'impasse en repoussant sans cesse les décisions qui s'imposeraient. Par peur ou par manque d’imagination et de recul, beaucoup même, proclament le déclin du christianisme. La solitude grandissante dans nos sociétés urbanisées introduit dans le monde un sentiment d'insécurité. Aucun d’entre nous n’est extérieur à ces bouleversements, nous les vivons et les subissons et nous en sommes acteurs, à notre mesure. Aujourd'hui, la survie de l'humanité est probablement en jeu.

Nous sommes donc collectivement et individuellement confrontés à ce défi : muter ou mourir. L'exemple de François d'Assise nous fait comprendre que cette mutation, ce véritable retournement, est de la responsabilité de chacun. François ne s'est pas demandé ce que l'État, l'humanité pouvaient faire pour lui, mais ce en quoi il pouvait lui-même contribuer à cette mutation au service de tous les êtres. Son retournement radical met en évidence l'homme intérieur qui a su faire triompher les qualités spirituelles dont l'homme est capable de faire usage : la bienveillante considération de l'autre, le respect de la dignité de chaque être humain, le partage, la fraternité. En un mot les qualités de coeur qui ne soient pas perverties par l'égo, pour un « vivre ensemble », dans le souci de chacun, en particulier des plus démunis.

L'homme de Dieu François avait appris à ne pas chercher son avantage, mais ce qu'il percevait surtout utile au salut des autres ; par-dessus tout cependant, il avait le désir de se dissoudre et d'être avec le Christ. Pour cette raison, sa plus haute application consistait à se tenir libre de tout ce qui est dans le monde...

(1C71)

Par le désencombrement de son coeur, le « Pauvre d'Assise » a pu se libérer de l'attachement aux biens matériels et s'ouvrir à des réalités plus hautes et plus profondes. François nous montre que lorsque l'homme, animé d'une saine et joyeuse sobriété, devient capable d'assumer une limitation volontaire des besoins, il peut alors puiser dans l'émerveillement, dans la joie de la rencontre, dans la méditation et la prière, une nourriture qui le comble.

Muter ou mourir ? La mutation à laquelle nous invite saint François d'Assise se fonde sur une décision à partir d'un regard clair sur soi et sur la réalité du monde. Elle s'enracine dans un oui à la vie et une rupture avec les logiques de mort. Dès lors, l'être intérieur peut s'éveiller et s'ouvrir à une vision nouvelle de soi, de l'autre, du monde et de Dieu. François, à la suite du Christ, nous appelle à la vie, à une nouvelle naissance, à une métamorphose pour le salut de l'humanité. Il rappelle à l'homme ce à quoi il est appelé en profondeur : recevoir et donner la vie en abondance.

Oeuvre © Mathilde Renaud

vol. 122, no 1 • 15 mars 2017

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