RÉFLEXIONS SUR L’ESPÉRANCE SELON UN PESSIMISTE-RÉALISTE
ESPÉRANCE
François Poulin travaille auprès des jeunes et des clientèles marginalisées. Il nous parle de son travail, de l’ouverture d’esprit dont il doit faire preuve ainsi que de l’importance, dans ses interventions, d’être à même de se laisser imprégner par les rencontres qu’il est appelé à faire. Les parcours de vie des jeunes qui croisent sa route sont multiples. Mais, dans tous les cas, il explique que la clé d’une bonne intervention c’est le lien de confiance. L’important, c’est d’établir une relation de qualité. Il insiste pour garder une confiance en l’humain et cultiver l’espérance.
À la fois précieuse, fragile et volatile, jamais prise pour acquis, la relation de confiance est difficile à gagner, facile à perdre, mais essentielle au travail en relation d’aide.
Je dis souvent à mes proches que je suis privilégié de pouvoir travailler dans le domaine de l’intervention. Privilégié, car évoluer dans un tel contexte nous change comme humain et nous force à voir la vie à travers d’autres lunettes. Tous les gens engagés dans ce milieu : intervenants psychosociaux dans des organismes communautaires, travailleurs sociaux en CLSC, éducateurs spécialisés en milieu scolaire, conseillers en emploi dans des Carrefours jeunesse-emploi, éducateurs en Centre jeunesse, travailleurs de rue ou travailleurs humanitaires, peu importe l’environnement de travail et la clientèle que nous desservons, ont accès à des réalités et à des expériences que le commun des mortels aurait souvent du mal imaginer.
Le fait de côtoyer des gens en difficulté, et si ces derniers nous laissent entrer un tant soit peu dans leur vie, risque de changer nos perspectives sur le monde et sur la société en général. Sans ce contact et une ouverture d’esprit, je considère que nous risquons de demeurer dans l’ignorance et de continuer à vivre dans des bulles de verre avec des connaissances très limitées face à ces clientèles. La peur, les mythes et les préjugés sont omniprésents et souvent alimentés par les médias de communication. Ces préjugés reposent essentiellement sur cette même ignorance.
Ce que je tente de mettre en lumière, c’est que nous portons tous notre lot d’expériences personnelles. Ces expériences peuvent être positives ou non mais elles marqueront notre façon d’aborder la vie. Elles forgent notre personnalité, nos principes et nos valeurs. Au gré de ces rencontres et de ces expériences, nous pouvons être ébranlés dans nos principes les plus fondamentaux. Des valeurs que nous pensions bien ancrées peuvent être mises à rude épreuve et parfois pour le mieux, à vous de juger.
L’expérience de l’intervenant que je suis, combiné au regard de l’historien qui n’est jamais bien loin, vous dira que tous les contacts entre les cultures laissent leurs marques auprès des deux parties impliquées. Bien évidemment, un conflit armé n’aura pas le même type d’impact sur une société que la signature d’un traité d’échange commercial ou qu’un évènement sportif international. C’est en ramenant l’expérience collective à une échelle individuelle que nous pouvons reprendre du pouvoir sur notre vie. Même si nous n’avons pas de pouvoir direct sur plusieurs de nos expériences, nous ne devons pas demeurer de simples spectateurs ou pire encore, en devenir les victimes. Comprenez-moi bien, je ne dis pas que nous ne subissons pas les conséquences des actes des autres, je ne dis pas non plus qu’il est facile de trouver des solutions. Chaque évènement est unique et chaque individu vit et gère les choses à sa manière et selon ses capacités et ses moyens.
Il serait aussi faux de se leurrer et de croire que nous avons tous les mêmes chances et que nous sommes égaux. Le discours ambiant nous dit qu’il suffit d’avoir de la volonté, de faire des efforts et que nous pourrons réussir dans la vie et surmonter les obstacles Encore une fois je vous ramène à ce que nous sommes et aux forces et aux faiblesses que la vie et ses expériences nous ont laissées. Non nous ne sommes pas tous équipés de la même manière et nous n’avons pas tous les mêmes outils pour survivre au monde moderne et à ses épreuves. Certains continueront de vivre dans leur réalité parallèle et demeureront insensibles aux injustices sociales et à leurs conséquences sur des vies humaines. D’autres tenteront d’agir et lutter pour faire avancer les choses, encore une fois, selon leurs moyens et leurs capacités d’action trop souvent limitées à une échelle locale ou individuelle.
C’est ici que je reprends le fil de ma pensée première et que je reviens au thème de cette publication, l’espérance. Vous êtes en droit de vous demander où je veux en venir, mais ayez encore un peu de patience et d’indulgence, j’y arrive… d’ici quelques lignes. Je dois encore prendre le temps de contextualiser ma réflexion autour du point de vue de l’intervenant et pour ce faire, quelques éléments doivent être mis de l’avant.
La clé d’une bonne intervention et d’un accompagnement pertinent repose sur une notion fondamentale, le lien de confiance. Une des principales qualités d’un bon intervenant repose sur son savoir-faire et sur la création, le développement et le maintien de ce lien. À la fois précieuse, fragile et volatile, jamais prise pour acquis, la relation de confiance est difficile à gagner, facile à perdre, mais essentielle au travail en relation d’aide. Est-il nécessaire de mettre en lumière que les gens qui choisissent de faire ce type de travail doivent posséder des qualités personnelles et des valeurs humaines très élevées. Ceci étant dit, nous ne sommes pas des super-héros, des saints ou des sauveurs. Nous ne sommes que des humains avec nos expériences et nos visions du monde.
Nous sommes constamment confrontés au sentiment d’impuissance et nous ne sommes qu’un maillon dans la longue chaîne qui mènera peut-être à un changement ou à l’amélioration de la qualité de vie du jeune ou de l’individu avec qui nous travaillons. Ce sont eux qui choisissent s’ils nous laisseront les soutenir ou pas. Ce sont eux qui prennent les décisions et font leur choix. Très peu d’entre nous verront des résultats concrets sur une base régulière. Cette réalité vient donc illustrer les limites de notre intervention et nous questionner sur notre utilité.
Je ne me considère pas comme un pessimiste ou un défaitiste, mais comme un réaliste conscient de ses limites et de ses capacités. Pour demeurer alerte, motivé et efficace dans ce boulot, il est essentiel de demeurer lucide sinon nos attentes seront mises à rude épreuve et nous risquons d’y perdre le sens de notre implication. C’est ici que l’espérance prend tout son sens et que nous devons la cultiver pour être en mesure de bien faire notre travail. La confiance en l’humain capable du meilleur comme du pire me permet de croire en la beauté du jeune devant moi ou de l’individu en quête de bonheur.