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MALGRÉ LE CHAOS ÉCOLOGIQUE

« La crise écologique ébranle par sa magnitude, par son urgence, par notre difficulté... à nous mobiliser... » Les appels des plus hautes autorités morales sont multiples et la réponse est insuffisante. La pratique d'un éducateur à l'écocitoyenneté est un lieu d'observation privilégié pour observer tous les mouvements, les perceptions des jeunes. L'éducation est une clé pour apprendre la sérénité plutôt que la panique devant le chaos.

« Si nous ne changeons pas d'orientation d'ici 2020, nous risquons des conséquences désastreuses pour les humains et les systèmes naturels qui nous soutiennent. »
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Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies  

« Il est trop tard ! » [1], tonnait à plein titre un ouvrage lancé récemment par Harvey Mead, une des figures significatives du mouvement environnemental des dernières décennies au Québec.  Le chaos appréhendé et le manque flagrant de volonté politique, n’avaient-ils pas déjà provoqué, il y a quelque temps, le même soupir d’abandon de la part du sage David Suzuki [2] lui-même ?  Le désarroi s’insinue cruellement dans les certitudes de naguère et en fissure les fondations.

LA CRISE ÉCOLOGIQUE

Les faits sont là.  Lorsqu’on ose la lucidité, il apparait que les meilleurs indicateurs que nous présentent les scientifiques sont indéniablement passés au rouge. Avouons que les négationnistes glissent dans l’insignifiance face aux données qui se font de plus en plus précises et probantes. Or, face à cela, qui n’a pas éprouvé, ne serait-ce que sporadiquement, de tels moments de déroute intérieure. La crise écologique ébranle par sa magnitude, par son urgence, par notre difficulté, aussi, à nous mobiliser solidairement pour la contrer. Elle questionne radicalement notre mode de vie actuel, révèle cruellement l’insuffisance de nos entreprises et nous laisse devant un vertige angoissant. Qui plus est, elle nous ébranle par l’injustice qu’elle engendre, car elle frappe déjà impitoyablement ceux et celles qui ont le moins contribué à la causer. Somme toute, au premier abord du moins, pour l’œil honnête et lucide, le cataclysme global vers lequel nous glissons, éloigne des rives bucoliques et moelleuses de la sérénité.

 

Soyons justes. Ni Harvey Mead ni David Suzuki n’ont vraiment démissionné. En sous-titre de son livre, le premier évoque d’ailleurs « la fin d’un monde et le début d’un nouveau ». N’empêche!  Le mal est fait, pourrait-on croire. N’est-il tout de même pas sacrilège de leur part de faire fi de la multitude des valeureux combattants qui, eux, persistent, persévèrent et proposent « malgré » tout.  Des irréalistes ? Qu’on en convienne, pour les uns comme pour les autres, dans l’idée d’agir malgré tout, c’est le « malgré » qui fait problème.

BIENTÔT…TROP TARD

L’appel lancé par le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, est de moindre intensité. Il convie à l’action annonçant tout de même qu’il sera « bientôt » trop tard. « Si nous ne changeons pas d'orientation d'ici 2020, nous risquons des conséquences désastreuses pour les humains et les systèmes naturels qui nous soutiennent », affirmait-il en septembre dernier. Nicolas Hulot, qui a mis tout le monde en émoi en abandonnant subitement son poste de ministre de l’environnement de la France, illustre quant à lui l’exaspération que vivent ceux qui voudraient agir et qui font face aux limites de la volonté réelle de changement depuis la sphère politique. La tâche, il la dépeint comme colossale. Systémique, en fait. « On n’arrive pas à convaincre les gens qu’il faut changer totalement le modèle dominant, affirme-t-il encore aujourd’hui. ». « L’écologie c’est un changement de paradigme… » mais au terme, poursuit Hulot, on sacrifie toujours l’avenir au présent… » [3].

 

Indéniablement, il demeure que du littoral d’où nous nous tenons, dans la mesure où nous consentons à scruter l’abime tragique des flots, nous percevons de mieux en mieux qu’au large gronde une rumeur de fond dont les ondes nous remuent anxieusement sous le thorax. L’angoisse s’est d’ailleurs brutalement intensifiée au cours de la dernière année[4].

DOUTES ET ESPOIRS DES JEUNES

Lieu d’observation de ces mouvements, de ces déchirements, de ces entêtements, je constate que ma pratique d’éducateur à l’écocitoyenneté auprès de jeunes en milieu scolaire, m’offre souvent l’occasion de sonder la présence et l’insinuation de la crise à l’intérieur de chacun. Au gré des discussions, des conférences, des sorties et des activités de toutes sortes surgissent immanquablement les doutes et les espoirs face à un défi dont les contours se font de plus en plus définis. La perception des jeunes, évidemment, se décline de façon plurielle. Qu’on s’engage au niveau individuel à changer sa façon de consommer en tendant vers un mode de vie « zéro déchet », qu’on opte pour le végétarisme ou le transport actif, qu’on prenne part aux mouvements globaux visant à contraindre les gouvernements à bouger [5] ou qu’on s’engage à l’intérieur de sa communauté dans un projet ou l’autre, la majorité n’ont décidément pas baissé les bras. Au cœur de l’expérience pourtant, un questionnement de fond émerge régulièrement : comment garder le souffle? Mais surtout, à quelle ressource puiser ? Face à l’imminence des dérèglements planétaires, existe-il une posture intérieure qui nous prémunirait tant de la démission que de l’aveuglement, qui nous maintiendrait dans le flux de l’espérance, qui nous inciterait à perdurer dans le combat ?  

LA SÉRÉNITÉ ESPACE DE LIBERTÉ

En dépit des apparences notées plus haut, il me semble malgré tout que l’éducation à l’environnement devrait se présenter ultimement, comme une éducation à la sérénité. C’est là une affirmation qui renvoie à ces paradoxes qu’il faut consentir à accepter et à maintenir en tension. D’abord, la sérénité n’existe que parce qu’un chaos rôde quelque part.  Elle lui est liée. Le chaos est le lieu où elle fait véritablement ses preuves. Quand, les yeux grand ouverts, nous voyons le chaos souffler à plein régime, quand il nous malmène de façon prolongée, quand nos tentatives de le contrer n’engendrent que d’imperceptibles résultats et que les sphères du changement nous paraissent hors d’atteinte, la sérénité devient un espace de liberté et d’inviolabilité au cœur de la tourmente. Elle se tient debout « malgré » la tourmente et en propose une acceptation tranquille, sur laquelle le bouddhisme aurait d’ailleurs beaucoup à nous apprendre. Encore une fois, elle refuse catégoriquement la résignation car celle-ci l’invaliderait. Mais elle confère la possibilité de sortir la tête de l’eau durant le combat en nous gardant d’y être engloutis. La sérénité est le belvédère duquel il est possible de voir la forêt et non pas seulement les arbres. Un espace de prise de conscience et de recadrage du sens. En ce sens l’apprentissage de la sérénité c’est de cheminer dans cet art sublime qui consiste à affirmer nos convictions et à nous battre pour elles vigoureusement, mais sans verser dans la rigidité psychologique qui gomme la complexité et les nuances.  

 

En misant sur un certain détachement, la sérénité nous convie à la bienveillance envers nous-mêmes  et envers les autres : elle constatera le découragement, indiquera avec compassion la blessure que suscite le chaos et ouvrira finalement la porte à la remise en marche, à la remobilisation. Elle nous fera alors poser les yeux sur ceux qui sont déjà en action dans des initiatives qui insufflent l’espérance. Celles qui montrent qu’un autre monde est possible. [6]

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NOTES
NOTES

[1] Harvey L. Mead, Il est trop tard. La fin d’un monde et le début d’un nouveau. Écosociété. 2017.

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[2] David Suzuki : https://www.macleans.ca/society/life/the-nature-of-david-suzuki/ We’ve failed.

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[3] SRC.  Entrevue de Céline Galipeau avec Nicolas Hulot.  2018.  https://www.youtube.com/watch?v=KoJM1yI2wKY

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[4] Le phénomène de l’écoanxiété attire de plus en plus l’attention de nombreux chercheurs.  Voir : https://lareleveetlapeste.fr/lecoanxiete-ce-nouveau-mal-qui-nous-ronge-de-linterieur-en-pensant-a-leffondrement/?fbclid=IwAR1O6rWPDLKob4qr3jl02PGCj9dKOiKatxnq6dJlSQWweCY3qqCNsHSCXWw

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[5] Qu’on pense au mouvement Earth strike, ou à « La planète s’invite »

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[6] On verra avec bonheur le film Demain qui présente de telles initiatives. La chronique « Au Cœur des mots » parue dans le numéro d'octobre 2015 de Chemins Franciscains présentait ce film. Voyez le commentaire sous le titre « demain un nouveau monde en marche »

https://www.cheminsfranciscains.ca/un-nouveau-monde-en-marche

vol. 124, no 1 • mars 2019

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