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LA VISION FRANCISCAINE DE L'INTÉGRITÉ DE LA CRÉATION D'OÙ PART LE REGARD DE FRANÇOIS D'ASSISE

LAUDATO SÌ, LOUÉ SOIS-TU !

La création est toute une. Nous en sommes partie et nous y vivons dans une interdépendance totale avec tous les éléments. Pierre Brunette, franciscain et spécialiste des Écrits de François, nous dévoile l'expérience de François d'Assise dans sa relation avec tous les êtres qui l'entourent. Il est tout entier tourné vers l'action de grâces.
Pour nous, la Maison-Dieu à réparer c’est notre Maison commune humaine, matérielle et spirituelle, à l’échelle de la planète.

Aussi étrange que cela paraisse, les écrits de saint François parlent peu de la création. À part son Cantique de Frère Soleil, quelques extraits de la Règle, une Admonition, une Lettre et des Prières, François mentionne rarement le sujet. Il faut lire de près ses extraits pour comprendre comment il se situe et comment il demande à la Fraternité de se positionner devant le Seigneur qui fait des merveilles (LD1). Il n’a d’autre art de vivre que sa pratique fraternelle, sa conscience évangélique et sa fréquentation assidue de la Bible, son Arbre de vie. 

Au centre de sa vision, François proclame la grandeur de chaque être vivant dans le plan de Dieu. Il demande à chacun de reconnaître cette place privilégiée : elle se trouve en Dieu, par le Christ, dans l’Esprit.

Considère dans quelle excellence t’a placé le Seigneur Dieu : il t’a créé et formé à l’image de son Fils bien-aimé quant au corps et à sa ressemblance quant à l’esprit. Et toutes les créatures qui sont sous le ciel, chacune à sa façon, servent leur Créateur, le connaissent et lui obéissent mieux que toi. (Adm5)

Ainsi, avant de remercier Dieu pour la beauté de la création, François s’étonne d’être engendré par Dieu, à son image. Notre conversion écologique naît d’un sens profond de vénération devant la vie divine en nous et autour de nous. Cette vie touche le corps et l’esprit, et notre parenté avec l’univers. Le scandale dû à la maltraitance de la terre, l’alarmisme devant le pillage de la nature, l’angoisse face aux catastrophes planétaires, le déséquilibre dans le partage des richesses naturelles… toutes ces réactions dépendent de la prise de conscience de ce que nous faisons de cette place.

François mettra du temps pour saisir que la maison qui tombe en ruines, et qu’il doit restaurer est la Maison-Dieu, la maison fraternelle qu’est l’Église et la société de son temps. Pour nous, la Maison-Dieu à réparer c’est notre Maison commune humaine, matérielle et spirituelle, à l’échelle de la planète.

François d’Assise nous incite donc à contempler notre rôle dans un plus vaste ensemble. Notre émerveillement devant le Créateur et son œuvre immense nous donnera des yeux vigilants, un cœur conscient, une voix prophétique pour dénoncer et bénir, des mains pour réparer et agir. Il nous faut reconnaître d’où et de qui nous partons avant de répondre aux cris de notre sœur Mère Terre. 

Attention à ne pas réduire le Cantique de Frère Soleil à un poème cosmique coupé de la réalité! En fin de vie, François sait qu’il retourne à Dieu en rendant des comptes. Il en arrive même à donner à Dieu des noms qui surgissent de son expérience communautaire concrète:

Tu es humilité. Tu es patience. /…/ Tu es notre richesse à suffisance. /…/ Tu es protecteur. Tu es gardien et défenseur. (LD7.10.12)

Dans l’épisode autobiographique de La Vraie Joie, il se sert du froid glacial de l’hiver pour décrire son sentiment de rejet par ses frères. Il dit à son confident comment il tient bon dans l’adversité : lui, frère François, frappe obstinément à la porte des siens pour être accueilli au soir de sa vie. Il garde patience sans être ébranlé. Ainsi, forcé à l’immobilité par la maladie, aveugle, marginalisé par les siens, il confesse sereinement son identité fraternelle.

Le Cantique de Frère Soleil célèbre son itinéraire spirituel et ce qu’il attend du nôtre. La création est faite pour louer le Seigneur : elle Lui ressemble. Sa louange est orchestrée comme une symphonie fraternelle entre les éléments de l’univers. Tout rend gloire à Dieu et sert l’humanité dans des rapports renouvelés de proximité. L’univers porte le signe de la paternité maternelle de Dieu : de frère Soleil à sœur mère Terre. Du plus sublime au ciel au plus fragile sur terre. Le Cantique met côte à côte Création et Créateur parce qu’il surgit d’un long apprentissage d’une manière fraternelle d’adorer et de vivre, de se comporter et d’aller par le monde.

Le génie de François va plus loin. Il fait se rencontrer dans le même Cantique la mission des éléments de la création avec les expériences humaines les plus décapantes : le besoin de pardonner, l’accueil patient de la maladie, les tribulations occasionnées par les autres, le découragement devant l’épreuve, la malédiction du péché, la mort corporelle inévitable. Et ce, sur la trame quotidienne de la vie fraternelle. Il réconcilie nos épreuves incontournables avec les merveilles de la création. À la limite, le pardon devient source de miséricorde qui sauve. La maladie donne de rendre grâces de tout au Créateur (1Reg10,3). L’épreuve fait tenir bon dans la foi sereine. Le péché appelle réparation. La mort s’apprivoise comme une sœur.

Ainsi, quand François demande à ses frères de lui chanter le Cantique de frère Soleil avant de mourir, il célèbre ce que Dieu lui a fait découvrir sur le terrain fraternel, en parcourant le monde comme un évangile vivant. Son ouvrage de restauration reste relationnel : entre les personnes et la nature. Voilà son lègue précieux à l’Église et au monde. Notre écologie franciscaine découle d’une économie fraternelle à instaurer bien au-delà des biens matériels et de nos besoins en cas de nécessité.

François entretient une vision paradoxale de l’homme. L’être humain, laissé à lui-même est fautif, fétide, misérable, contraire au bien, embourbé dans les choses terrestres (1Reg22,6;23,5). Mais en face du Créateur, il peut tout, s’il se laisse engendrer et sauver par Lui (1Reg 23,9). Bien sûr, ailleurs dans ses écrits, François évoque la nature avec les images de la terre et de la mer, des brebis et des oiseaux du ciel, des champs et de la voûte céleste… Mais ces évocations bibliques n’ont d’autre vocation que de rendre grâce à Dieu, Créateur, Rédempteur et Sauveur (1Reg10,3; 23,9). Il affirme une sorte d’état de grâce forgé à travers notre dialogue ravi avec le Créateur. Que pénètre en nous l’élévation de notre Créateur et notre soumission envers lui. (LOrd34).

Nos gestes politiques et nos options collectives pour bien gérer notre place dans le paradis (1Reg23,1) se nourrissent de cette contemplation nécessaire. Cela entraîne pour nous une sorte d’interdépendance entre les êtres humains, les événements du monde et les éléments de la nature pour inventer des voies de guérison et de réparation. Un des lieux privilégiés pour la prise en charge mutuelle de la contemplation et de l’action reste le monde des pauvres qui font partie de notre paysage social.

Et ils doivent se réjouir quand ils vivent parmi des personnes viles et méprisées, parmi des pauvres et des infirmes et des malades et des lépreux et des mendiants le long du chemin. (1Reg 9,2)

Si l’univers créé porte le signe du Créateur, si les expériences décapantes de la vie sont un terrain de réconciliation avec nos limites et l’harmonie du monde, les pauvres reflètent pour nous la face cachée du Christ et de son évangile. François prêche une conversion du regard sans cesse à inventer entre frères et soeurs. Nous apprenons, grâce à lui, que nous dépendons les uns des autres pour contempler le monde, soigner le jardin du paradis, partager les fruits de notre terre matricielle, courber la tête devant la grandeur de Dieu et porter l’Évangile comme un don pour l’humanité.

Louez et bénissez mon Seigneur et rendez grâces et servez-le avec grande humilité (CSol30)

vol. 120, no 5 • 15 décembre 2015

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