
OÙ LOGES-TU, HUMBLE ESPÉRANCE ?
L’espérance dispose du pouvoir de jeter une lumière nouvelle, d’ouvrir la porte à une perspective plus rassurante sur ce qui peut advenir. Elle brille comme une étoile dans le ciel de notre monde obscurci par les nuages de la désespérance.

* PIERRE LOISELLE est un laïc engagé dans l’Église de Québec. Au terme d’une carrière dans la Fonction publique québécoise, il consacre principalement sa retraite à des projets d’écriture, tel ses ouvrages Voyage au pays de la Parole (Médiaspaul 2021) et Florilège d’hommages et de reconnaissance aux membres des communautés religieuses, instituts de vie consacrée et sociétés de vie apostolique présents dans le diocèse de Québec (2024) Il rend divers services d’animation spirituelle notamment auprès des associé(e)s eudistes dont il est un membre. Il est marié depuis 48 ans à Lorraine Malenfant Loiselle.
Les médias ne semblent jamais se lasser de transmettre des reportages exacerbant l’angoisse, devenue virale, devant l’avenir du monde actuel. Certaines personnes espèrent que les images de cataclysmes dévastateurs, d’épidémies et de maladies émergentes ou résurgentes, ne soient que passagères. D’autres observent avec impuissance la férocité des guerres fratricides qui poussent à l’exil des millions de personnes vers des pays qui leur barrent la route. Les inégalités criantes entre des populations qui crèvent de faim pendant que d’autres se gavent de tout ce que la surconsommation leur permet d’acquérir, arrivent à peine à susciter l’indignation. Et lorsque des tyrans brandissent le recours à des armes de destruction massive en se substituant à la voix de la démocratie et en bouleversant l’ordre mondial, alors personne ne sait plus ce que l’avenir réserve.Les stoïciens de l’Antiquité domptaient l’angoisse résultant de leurs espoirs déçus en adoptant une discipline de détachement face à l’avenir. L’empereur romain Marc Aurèle écrit: « Aujourd’hui, j’ai désavoué tout embarras, car il n’était pas hors de moi, mais en moi, dans mes opinions. »[1], avouant ainsi qu’en dépit du pouvoir que lui procurait son titre de maître du monde, l’avenir échappait à son contrôle. Il ne lui restait alors qu’à trouver le bonheur et la sérénité dans le quotidien de sa vie. Combien de personnes, déçues de ne pas voir leurs attentes exaucées, succombent au désespoir ? Selon les données du 8 décembre 2023, il y aurait eu minimalement 1102 suicides au Québec en 2022, ce qui représente un taux de 12,7 par 100 000 personnes. Le taux de suicide le plus élevé s’observe chez les hommes de 50 à 64 ans.[2] Quel mal a pu ronger la vie de ces personnes pour les conduire à un tel désespoir ?
LA PUISSANCE DE L’ESPÉRANCE
Comment réagir chrétiennement face aux bouleversements du monde et aux espoirs dont on ignore l’aboutissement ? Serait-ce en laissant émerger l’angoisse et la colère, en renonçant à toute forme d’espoir ou en alléguant un leurre ? Entre ces deux options s’en insère une troisième, l’espérance. Charles Péguy écrit : « La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance. »[3].
L’espérance dispose du pouvoir de jeter une lumière nouvelle, d’ouvrir la porte à une perspective plus rassurante sur ce qui peut advenir. Elle brille comme une étoile dans le ciel de notre monde obscurci par les nuages de la désespérance. Elle adoucit les coups durs qui s’abattent sur toute vie humaine en lui conférant un sens. Car l’espérance invite quiconque à déposer ses espoirs entre les mains du Tout-Puissant, confiant que le Père donne à ses enfants ce qui convient à leur bien : « Moi, je vous dis : Demandez, on vous donnera; cherchez, vous trouverez; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit; qui cherche trouve à qui frappe, on ouvrira. Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent! »[4]
L’Esprit Saint, le Défenseur comme Jésus le nomme, se défendrait d’être confiné dans un douillet cocon de repli sur soi. Il pousse les croyants à témoigner de la puissance de l’espérance dans tout geste de bonté, de courage et de résilience, en tout lieu et en tout moment sur le chemin de leur pèlerinage de vie. L’espérance tire sa force de la prière, dans le dialogue vivifiant avec Celui en qui, et par qui, tout est possible : « Il est vrai que l'Amour ne connaît pas de mot tel que « impossible », car il considère « tout possible, tout permis »[5]. Pour le reste, sa grâce suffit.
La prière est le dialogue de cœur à cœur avec Celui qui se fait le Tout-Proche, Celui qui se contemple dans l’adoration et se chante pour les merveilles qu’Il accomplit dans l’univers qu’Il habite. La prière est le laboratoire où se distille l’aveu de tous les secrets pour que le compatissant confident accorde son pardon. Elle est l’écritoire sur lequel s’affichent les besoins et les requêtes de quiconque sait « qu’avant même qu’un mot ne parvienne à ses lèvres, déjà le Seigneur le sait.» (Ps 138, 1-3). La prière est la consolation et la lumière dans la nuit des inquiétudes et des hésitations jonchant les chemins de la vie. Elle est l’eau fraîche qui désaltère toute soif d’absolu; elle est le chant qui s’élève des cœurs et qui habite les hymnes que l’Église entonne dans sa liturgie et ses sacrements.

LE TERREAU DE L’ESPÉRANCE
Où loges-tu donc, humble Espérance, au milieu de ce monde soumis à de multiples peurs, aux antagonismes et aux menaces qui planent sur un avenir réduit à ce que la loi des plus forts dicte à une humanité méfiante et incrédule ?
La réponse du croyant reflète l’injonction du Seigneur d’aimer comme lui-même a aimé. S’engager dans les institutions d'enseignement, dans les familles, dans les villages et les villes afin de participer à la croissance d'une jeunesse passionnément désireuse d’apprendre et soutenir les concitoyennes et concitoyens engagés dans des causes orientées vers le progrès de la Cité. Stimuler la créativité et la promotion de droits du travail justes et de conditions de vie équitables pour les ouvrières et les ouvriers dans les usines, les chantiers et les laboratoires. Compatir aux tâches du personnel et celles des bénévoles dans le domaine de la santé, pour soulager la maladie, les souffrances de l'abandon et de la solitude. Joindre sa voix à celle de toutes les personnes qui œuvrent à l’établissement d’une paix durable, à la mise en place d’une justice pour tous, quelle que soit la couleur de leur peau, leur sexe, leur religion, leurs opinions ou leurs croyances.
Voilà le terreau dans lequel l’humble Espérance répand les semences produisant les fruits de la concorde, de la réconciliation, de la justice et de la paix. Elle balaie les humeurs maussades et embellit le jardin du monde de cultivars reproductifs pour les faire croître ici-bas et être moissonnés dans l’autre. Peu importent les ciels assombris par les cataclysmes menaçants d’une planète aux abois, nonobstant les coups durs qui secouent les incertitudes de la vie et les vacillements de la foi, Espérance attise la résilience, elle instille la joie dans le cœur de tous les pèlerins en marche vers l’à-venir.
NOTES
[1] Frédéric Lenoir, Le rêve de Marc Aurèle, Flammarion, 2024, p.189
[2] Source : Institut national de santé publique du Québec, 5 février 2024
[3] Charles Péguy, Le Porche du mystère de la deuxième vertu, Paris, Émile-Paul, 1911
[4] Luc 11, 9,13
[5] Sainte Thérèse de Lisieux