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EN PLEINE ACTION

CLIN D’OEIL SUR LA COMMUNAUTÉ SPIRITUELLE DE VALEURS ENTRE FRANÇOIS D’ASSISE ET JEAN VANIER

L’objet de cet article est de montrer certains liens spirituels qui existent entre l’œuvre de François d’Assise (1881-1226) et celle de Jean Vanier qui a fondé l’Arche (www.larche.org) en 1964 et qui est aujourd’hui représenté par 145 communautés dont 8 au Québec, présentes dans 35 pays, sur 5 continents. Nous porterons plus particulièrement notre attention sur deux dimensions spirituelles qui nous semblent communes à leurs œuvres.
« Il s’occupait des pauvres, avait la main généreuse et se montrait compatissant » (1 C 17). « Au temps où j’étais encore dans les péchés, la vue des lépreux m’était insupportable. Mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux ; je les soignai de tout mon cœur; et au retour ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps. Ensuite, j’attendis peu, et je dis adieu au monde » (François d’Assise, Testament, 1-3) (1)

Une première dimension est en lien avec le « cri du pauvre » inspiré des Béatitudes proclamées par Jésus. La seconde dimension s’observe au niveau des fondements communs sur la source d’inspiration pour la vie communautaire. Pour terminer nous brosserons sommairement quelques nouveaux liens spirituels possibles, non seulement entre François d’Assise et l’Arche de Jean Vanier, mais aussi avec d’autres mouvements. D’autres associations qui s’inspirent de la même intuition spirituelle de nos deux fondateurs et qui se poursuivent encore au XXIe siècle avec Foi et Lumière Internationale et l’Association Simon de Cyrène, toutes deux nées en France.

© Arche Jean Vanier

Nous pouvons observer qu’il y a effectivement entre l’œuvre de François d’Assise et celui de l’Arche une recherche commune pour répondre au « cri du pauvre » tel qu’exprimé dans les Béatitudes. Pour François le « cri du pauvre » de son temps se manifeste, entre autres, chez la personne vivant avec la lèpre. Le lépreux est socialement et humainement ostracisé à cette époque comme à celle de Jésus. Pour Jean Vanier, ce « cri du pauvre » s’incarne plutôt dans la personne vivant avec un handicap intellectuel. Elle aussi, est socialement et humainement ostracisée encore aujourd’hui comme à l’époque de Jésus. En appui à cette recherche de mettre en pratique les Béatitudes de Jésus comme la Charte du Royaume de Dieu, il y une phrase emblématique de Saint-Paul qui est particulièrement proclamée de façon récurrente par les membres de l’Arche : «... ce qui est faible et fou aux yeux des hommes est fort et sage au cœur de Dieu. » (1 Co 1,27). Cet emblème peut aussi très bien incarner la mission de François d’Assise. Sans élaborer d’avantage, ii demeure que ces deux fondateurs ont voulu, au nom de l’évangile, se mettre aux services des plus pauvres de leurs temps.

Si François d’Assise fait sa démarche de conversion fondatrice en solitaire, il demeure qu’il sera très vite obligé d’organiser une vie communautaire pour les disciples qui le suivent. Encore une fois c’est cette notion de pauvreté évangélique qu’il cherchera à incarner jusque dans la vie fraternelle de la communauté. Les frères « doivent être ‘comme les pauvres’, ‘parmi les pauvres’, ‘avec les pauvres’. » (2) Cette vision spirituelle incite non seulement les frères franciscains au dépouillement matériel mais aussi au dépouillement spirituel de l’orgueil : source de conversion. Les « Admonitions de Saint-François » expriment bien la quintessence de cette vie communautaire.

Avec l’Arche, cette dimension de fraternité communautaire est aussi initiée par la présence du « pauvre », ici, c’est la personne vivant avec une déficience intellectuelle et qui ne possède pas suffisamment de « libre arbitre » pour vivre seule. La personne handicapée intellectuelle s’intègre dans une communauté de vie. Avant d’être « un objet de soin clinique » elle est « un sujet communautaire ». Cette façon de voir influence les relations humaines, et par le fait même, le savoir, le savoir-faire et particulièrement le savoir-être des assistants. Avec la vie communautaire de l’Arche, qui consiste à « faire avec » plutôt que « faire pour », on est alors en présence d’une sorte d’école de la vie, du réapprendre à vivre avec l’essentiel. « La pauvreté du pauvre » apprend aux assistants à vivre ou à revivre réellement autour des vraies valeurs humaines: l’accueil humble, la simplicité du vivre au quotidien, l’authenticité de la relation, le respect du laisser vivre l’autre, le don de soi, l’affection filiale, le pardon. Plus ou moins consciemment, plus ou moins volontairement, une « pratique réflexive » s’actualise chez l’assistant comme une nouvelle introspection sur soi-même à partir de la pauvreté, de la vulnérabilité de l’autre. L’intervenant, gravitant quotidiennement autour du bien-être de l’autre et des autres membres de la communauté, découvre à son tour graduellement et en pratique, ses propres handicaps, sa propre vulnérabilité, sa propre pauvreté. Notons, au passage, que c’est cette dynamique de réciprocité du bien-être de l’autre qui fonde la vie communautaire à l’Arche. (3)

Cette prise de conscience graduelle sur sa propre vulnérabilité, inspirée par la reconnaissance de celle de l’autre, humanise l’intervenant lentement mais sûrement. À court, moyen et long terme, cette vie communautaire qui gravite autour de la pauvreté de l’autre devient le déclencheur d’une transformation de soi, d’un renversement des valeurs, voire une source d’inspiration spirituelle. Ultimement la pratique de ce genre d’intervention pour certains, peut conduire vers l’Autre. Sinon, elle peut déclencher une plus grande quête d’humanité, d’humanisme pour soi comme pour les autres. Si on est attentif aux multiples bienfaits de la communauté du « vivre ensemble » de l’Arche, cette quête s’incarnera en premier lieu « pour soi » et ensuite autour de soi, pour les autres et de multiples façons, comme une quête du Bien (éthique), du Beau (esthétique), du Vrai (scientifique) et du Juste (théologique)

D’ailleurs, de façon paradoxale, dans les communautés de l’Arche au Québec la personne en situation de handicap intellectuel est appelée « la personne accueillante » tandis que l’assistant est « la personne accueillie » ! Bref, comme pour les frères franciscains, les assistants  de l’Arche apprennent et découvrent leur vulnérabilité, leur pauvreté « ‘comme les pauvres’, ‘parmi les pauvres’, ‘avec les pauvres’.» Dans ce contexte, « la personne accueillante », marquée par un handicap intellectuel devient alors un agent d’humanisation, voir de conversion  vers les Béatitudes.

Depuis la naissance de l’Arche en 1964, d’autres mouvements en lien avec la personne handicapée intellectuelle et/ou physique ont été créés avec cette même inspiration du « pauvre » des Béatitudes » et ce qui a aussi inspiré profondément François d’Assise. Maintenant nous allons brièvement jeter un coup d’œil sur ces mouvements communautaires d’un nouveau « vivre ensemble » aussi fondés sur les Béatitudes et qui se déclinent de diverses façons.

Ici le « cri du pauvre » est associé non seulement à la personne avec une déficience intellectuelle, mais aussi aux parents, aux familles qui veulent assumer au quotidien leurs enfants handicapés. Donc, en réponse à l’appel des parents d'enfants ayant un handicap mental, Marie-Hélène Mathieu (4) et Jean Vanier organisent avec eux, en avril 1971, un pèlerinage à Lourdes, en France. 12 000 pèlerins de 15 pays, dont 4 000 personnes handicapées mentales participeront à ce premier pèlerinage qui nécessita trois années de préparation. Ce fut l’expérience fondatrice de Foi et Lumière internationale (www.foietlumiere.org).

Cette expérience fondatrice se continuera dans des communautés locales regroupant de 15 à 40 personnes, pour partager des temps d'amitié, de célébrations et de prière. Foi et Lumière regroupe aujourd'hui 1 500 communautés se développant dans plus de 81 pays, répartis en 52 provinces. De plus, lors de ce premier pèlerinage en 1971 à Lourdes, cette démarche catholique avait déjà associé plusieurs dizaines de personnes de tradition protestante. Elle a été encouragée par tous les papes, notamment en 1975 par le pape Paul VI dans la basilique Saint-Pierre de Rome basilique. Elle est, depuis les débuts, œcuménique. En 2011, elle compte plus de 50 000 membres dans 81 pays. Maintenant, à la différence des communautés de l’Arche qui gravitent autour d’une vie communautaire vécue au quotidien, Foi et Lumière propose plutôt des communautés de foi avec des rencontres mensuelles. De plus à l’instar de l’Arche qui porte la mission œcuménique de l’Église catholique et avec une présence interreligieuse, FLI porte aussi ces dimensions œcuménique et interreligieuse par la force de sa présence internationale. Nous savons que ces mêmes dimensions étaient aussi pour Saint-François une préoccupation spirituelle réelle en se rappelant, entre autres, sa célèbre rencontre avec le roi musulman.

Marie-Hélène Mathieu créa en 1995, en lien avec l’Office chrétien des personnes handicapées (OCH) et l’Arche, l’Association Simon de Cyrène(www.simondecyrene.org). Cette organisation s’inspire directement du modèle de gouvernance et de l’intuition spirituelle de l’Arche avec les Béatitudes. Elle est actuellement dirigée par Laurent de Cheriseynote 5. Si, à l’Arche le « cri du pauvre » passe par la personne vivant avec une déficience intellectuelle, avec les maisons partagées Simon de Cyrène , il passe plutôt par la personne vivant avec un handicap physique de naissance ou d’un accident de la vie (ex. : traumatisme crânien; AVC, etc.). La mission est de les aider à sortir de leur isolement, de leur solitude, dans un contexte de vie communautaire à l’instar de celle de l’Arche.


Nous pouvons donc observer que l’intuition spirituelle de François d’Assise et de Jean Vanier, se poursuit toujours d’un siècle à l’autre. En fait, là à notre humble avis, la réalité des Béatitudes proclamée par Jésus il y 2,000 ans, demeure vivante et actuelle plus que jamais. Nous pouvons l’observer plus particulièrement depuis quelques décennies avec la prolifération des terroristes qui sont, chacun à leurs façons, une nouvelle présence, une nouvelle forme du désespoir, de la souffrance du « cri du pauvre » …

NOTES

 

(1) Pierre Brunette : « Sur les pas d’Emmaüs ». Pour discerner et accompagner. MÉDIASPAUL, 2015, p.132.

(2) Pierre Brunette : Les admonitions de Saint-François. Des mots pour vivre. Édition Franciscaines, 2014, p.111

(3) Jean Vanier a publié un livre en 1989 qui fait encore autorité pour la vie communautaire. Le titre de ce livre : La communauté : lieu de pardon et de fête résume très bien la richesse du « vivre ensemble » à l’Arche. Un autre livre de Jean Vanier qui va dans le même sens : Toutes personnes est une histoire sacrée, 1994.

(4) Marie-Hélène Mathieu a fondé en 1963 l’Office chrétien des personnes handicapées en France en lien avec plusieurs familles frappées par le handicap et avec le soutien du père Henri Bissonnier. Depuis l’origine, l’association a pour but de permettre à ces familles de ne pas rester seules, et dans une espérance commune, de se retrouver régulièrement pour échanger sur des questions qui leur sont propres.

(5) À son retour de tour du monde, en 2006, il rejoint l'association Simon de Cyrène (du nom de l'homme réquisitionné pour aider Jésus à porter sa croix) consacrée à l'habitat social des personnes handicapées. L’association reçoit également le soutien de Jean Vanier, fondateur de l'Arche, Marie-Hélène Matthieu, fondatrice de l'Office chrétien des personnes handicapées" OCH, et de Philippe Pozzo di Borgo" Philippe Pozzo di Borgo, auteur du livre Second souffle qui a inspiré le film Intouchables.

vol. 121, no 1 • 15 mars 2016

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