LE FILS PERDU ET LE PÈRE MISÉRICORDIEUX
LA MISÉRICORDE
Le P. Roger Poudrier ouvre l'écrin qu'est l'Évangile de Luc en nous présentant les figures de Zachée, celle de la pécheresse, celle de la femme en délit d'adultère, qui ont fait l'expérience de la miséricorde de Dieu à travers la rencontre avec Jésus. Ce mystère se déploie dans la parabole de l'enfant perdu que le Père miséricordieux attend. À travers toutes ces images, court le fil de la vie, du retour à la vie avant tout. Redonner vie à tout prix.
Les publicains et les pécheurs s’approchaient de Jésus pour l’entendre, alors que les Pharisiens et les scribes murmuraient : « Il fait bon accueil aux pécheurs, il mange même avec eux. » Mais pourquoi ceux que les Autorités religieuses officielles condamnaient, aimaient-ils entendre Jésus ? Le prophète de Nazareth ne les condamnait pas, il leur donnait plutôt espérance.
Jésus s’invite chez Zachée, un chef des publicains de Jéricho, et qui était riche. Ce dernier le reçoit avec joie. Aucune remontrance de la part du Maître ! Debout, Zachée dit au Seigneur : « Je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres et je rends le quadruple à ceux que j’ai extorqués. » « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison. Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » Aucune liste de ses malversations !
Alors que Jésus était à table chez le pharisien Simon, une pécheresse de la ville fit son entrée. Elle avait apporté un vase de parfum. Se plaçant par-derrière, aux pieds de Jésus, elle se mit à lui arroser les pieds de ses larmes ; elle les essuyait avec ses cheveux, les couvraient de baisers et y répandait le parfum. Ses péchés, ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle montre beaucoup d’amour. Aucun reproche de Jésus ! Aucune liste de ses nombreux péchés de la part de la femme !
Les scribes et les Pharisiens amènent à Jésus une femme surprise en flagrant délit d’adultère. La Loi de Moïse prescrivait de lapider ces femmes-là. C’était un piège, un dilemme parfait. Si Jésus demande d’appliquer la Loi, ils l’accuseront de manquer de bonté et de miséricorde. S’il opte pour la bonté et la miséricorde, ils l’accuseront de contrevenir à la Loi de Moïse. Jésus emprunte une troisième voie : « Que celui d’entre vous qui est sans péché, soit le premier à le jeter une pierre. » L’ « âge d’or » est parti en premier ! « Personne ne t’a condamnée ? Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus. » Jésus ne bénit pas le péché d’adultère, mais ne condamne pas la personne, l’être humain. Selon le Catéchisme de l’Église catholique (n°1861), « si nous pouvons juger qu’un acte est en soi une faute grave, nous devons confier le jugement sur les personnes à la justice et à la miséricorde de Dieu. » La justice de Dieu, c’est sa miséricorde et son pardon.
Après trois cas concrets de miséricorde, venons-en à la parabole du fils perdu et du père miséricordieux. C’est toujours la même miséricorde de Dieu qui est à l’œuvre.
La sagesse traditionnelle donnait le conseil suivant : « Quand seront consommés les jours de ta vie, à l’heure de la mort, distribue l’héritage » (Si 33, 24). Or voici que, dans la parabole, le père partage son bien de son vivant, et à la demande du fils cadet ! Ce dernier rassemble tout son avoir, part bien loin de son père et dissipe son bien en vivant dans l’inconduite.
À bout de ressources, il se met au service d’un propriétaire qui l’envoie dans ses champs garder les cochons. Il en vient même à désirer manger ce que l’on donnait aux porcs. Il décide donc de retourner chez son père pour manger ! Il prépare son boniment : « Père, j’ai péché contre le Ciel et contre toi ; je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme l’un de tes employés. » Il se reconnaît pécheur. C’est le parfait publicain. Mais il ne donnera aucun détail sur sa vie d’inconduite !
Il est encore loin, quand son père l’aperçoit. Pris de pitié, il court se jeter à son cou et l’embrasse tendrement. Le revenant n’a même pas le temps de réciter tout son boniment, que déjà c’est le plus beau vêtement, l’anneau au doigt, les chaussures aux pieds, le veau gras, la fête !
Allez-y comprendre quelque chose ! La loi du talion aurait exigé en toute justice que le fils fût mis en pénitence pour un bon moment et traité comme le dernier des derniers. Le père aurait-il perdu la tête ? C’est bien ce que pense le fils aîné. Quand il apprend tout ce « cinéma », il se met en colère et refuse d’entrer. On ne mêle pas les torchons et les serviettes ! C’est le parfait pharisien. Il n’est pas pécheur !
Le père sort l’inviter à la fête. Mais il répond à son père : « Voilà tant d’années que je te sers, sans avoir jamais transgressé un seul de tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis ; et puis ton fils revient-il, après avoir dépensé ton bien avec des filles, tu fais tuer le veau gras ! As-tu perdu la tête ? »
« Ne fallait-il pas festoyer et se réjouir ? Ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu, il est retrouvé ! » La miséricorde et le pardon déboulonnent le talion.
Selon la justice du talion, le cadet méritait un châtiment exemplaire. C’est ce que l’on peut faire de mieux humainement : rendre le bien pour le bien et le mal pour le mal. À ce compte-là, l’humanité entière mérite la condamnation, car il n’y a que des pécheurs sur la terre. Selon le Catéchisme (n° 827), tous les membres de l’Église – ses ministres y compris ! – doivent se reconnaître pécheurs.
Là où la justice humaine condamne selon le droit, la « justice » de Dieu le Père pardonne en toute miséricorde ; c’est le salut par pure grâce ! La portée de cette parabole est bouleversante. Tout ce qui est mort revivra. Tout ce qui est perdu reviendra et sera accueilli à bras ouverts. Tous les pécheurs trouveront le salut par pure grâce. Dieu rend justice à son nom de « Père », quand il pardonne miséricordieusement.
Si le Père est miséricordieux envers nous au-delà de toute espérance, nous devons être miséricordieux envers tous ceux qui nous offensent. C’est bien ce à quoi nous invite le pape François. « Soyez miséricordieux envers les autres comme votre Père est miséricordieux envers vous. C’est un programme de vie aussi exigeant que riche de joie et de paix. »