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EMMAÜS, CHEMIN MISSIONNAIRE?

Les pas risqués des disciples d’Emmaüs, et les nôtres aujourd’hui, sont en mal de sens. Et pourtant, il faut avancer courageusement en faisant la vérité, en partageant notre expérience de l’Absolu.

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« Là où deux ou trois se réunissent en mon Nom, je suis au milieu d’eux ! »
ROUTE ET DÉROUTE

Ils sont deux disciples à fuir Jérusalem. Deux à quitter la Communauté pour retourner à la sécurité de leur vie quotidienne. Leur route semble une déroute : ils s’éloignent du drame arrivé à Jésus. On l’a mis à mort. Ils ont perdu leur ami, celui qui soulevait leurs attentes. Pire, on a perdu son corps. Le témoignage des quelques sympathisants qui disent l’avoir vu vivant ne les convainc pas.

LA COMMUNAUTÉ INQUIÈTE

Ils sont deux, mais derrière eux c’est toute la Communauté en deuil qui cherche un sens à l’événement tragique. Dans ce fatras d’opinions contradictoires, elle veut le trouver et lire les signes de sa présence. Derrière la Communauté, c’est nous chaque fois que nous affrontons des pertes, des désillusions, son absence, nos remises en question. C’est nous dans l’Église d’aujourd’hui en pleine mutation. Nous avec nos efforts pour le rencontrer vivant dans un monde sécularisé à outrance.

LA VOIE DE L’EXPÉRIENCE

Cette route de la diaspora rappelle la nôtre dans notre expérience chrétienne. Les deux tiers de l’évangile se passent en route, signe que notre itinéraire de foi et d’appartenance communautaire reste en mouvement continu. Les pas risqués des disciples d’Emmaüs, et les nôtres aujourd’hui, sont en mal de sens. Et pourtant, il faut avancer courageusement en faisant la vérité, en partageant notre expérience de l’Absolu.

TROIS POUR CHEMINER

Les disciples passent de deux à trois. Arrive un voyageur inconnu. Il emboîte ses pas dans les leurs, pose sa question : « De quoi parliez-vous en chemin? » Sa question déclenche leur récit des faits, l’émotion de leur perte, leurs attentes déçues, leur rêve de libération soulevé par le Maître. La route ici n’a rien de missionnaire; c’est une fuite sans Bonne Nouvelle. Ils n’ont d’autre certitude que celle d’un grand vide et d’un besoin de comprendre.

Nous sommes trois chaque fois que nous nous réunissons en son Nom pour chercher le Sens de ce qui arrive à notre foi. Le Christ s’amène mystérieusement dans nos relations, nos partages, nos engagements, nos célébrations. Et pourquoi pas, dans nos silences? Il arrive même dans les culs-de-sac de notre expérience humaine. Il a le don de se présenter là où nous l’attendons et là où nous ne l’attendons plus. Il chemine avec nous en ami-pèlerin sans s’imposer.

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L’OUVERTURE DES YEUX

La question du Christ aux disciples est une question d’Église, de vie spirituelle et d’évangélisation. C’est comme si aujourd’hui on l’entendait nous interpeler: « Qu’est-ce qui vous tient en marche dans votre foi ? » « Qu’est-ce qui vous anime et donne d’espérer ? » Le Ressuscité se prête au dévoilement de sa présence là où nous vivons. Dans l’évangile, Il se donne à découvrir dans les larmes de Madeleine au jardin, dans la peur des Onze enfermés au Cénacle, dans le doute obstiné de Thomas, dans le retour au métier quotidien de Pierre et des siens au bord du Lac de Tibériade… Sa question dépasse le récit des faits; elle met en marche comme on fait pour un Synode ou un réseau de conversation, en Église ou en dehors de ses murs. Sa question donne d’arrêter pour nous accueillir et nous écouter. Elle appelle notre mémoire et notre interprétation des événements ; et incite à reconnaître Sa présence là où nous sommes, à partir de la Parole. Sa question déclenche notre évangélisation mutuelle. Elle devient missionnaire puisqu’elle nous sort des sentiers battus et nous renvoie à la rencontre du Dieu de Jésus-Christ.

UNE CONVERSATION NÉCESSAIRE

À la fin du jour les trois pèlerins cheminent encore. Le dialogue a duré les deux heures de marche entre Jérusalem et Emmaüs. Leur conversation les a rendus solidaires du même événement. Malgré l’aveuglement et l’incompréhension au point de départ, un climat de confiance s’est installé entre eux. Le voyageur a exprimé son interprétation du drame après les avoir écoutés longuement. Il a reproché leur incapacité de lire et de croire ce qui leur était déjà donné. Pour dessiller leur regard, il fait les raccords avec le passé, réajuste leur mémoire, s’inclut dans les Écritures pour eux. « Il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait ». Une Parole nouvelle à trois surgit. Plus que jamais elle les concerne.

L’OUVERTURE DU CŒUR

Nous restons deux ou trois ou plus, disciples à évangéliser, chaque fois que nous nous arrêtons pour recevoir Sa Parole et la comprendre aujourd’hui. Comme pour François d’Assise qui comprenait toujours la Parole de Dieu au présent. Très rarement au passé. Pendant que nous fréquentons la Bonne Nouvelle, Jésus ressuscité nous interpelle, nous amène à relire et voir les retombées de Son message. Il réclame une distance pour croire et un rapprochement pour témoigner. Sa Bonne Nouvelle missionnaire nous met en marche seuls ou avec d’autres. L’Esprit qui préside à l’Église investit chaque personne pour devenir une Parole crédible dans un cœur brûlant. Notre métier d’évangélisation ne peut se passer de la route fraternelle.

AUTOUR DE LA TABLE, DES YEUX POUR CROIRE

Quand le soir tombe. Le voyageur répond à l’invitation de Cléophas : « Reste avec nous! ». La table continue la grâce de la route. La fraction du pain vient sceller les découvertes du jour. Les yeux de la foi s’ouvrent à cause du patient cheminement ensemble. Le Maître se retire de leur regard dès qu’ils ont compris; la foi est faite pour l’absence et la reconnaissance de Sa présence. Ils croient parce qu’ils ont accueilli l’Étranger, écouté Sa Parole dans les leurs, élargi leur conscience des Écritures et posé des gestes d’hospitalité et de communion. Ils croient à cause de la route accueillante et de la table chaleureuse.

Nos tables rituelles n’auront de sens qu’à partir des préparations surgies des simples choses de l’existence. Les sacrements reposent sur l’apprentissage de la Parole dans le temps comme une expérience porteuse de Vie.

LE CHEMIN DU RETOUR

Les deux disciples saisissent la portée de leur expérience de foi. Les yeux se sont ouverts. Leur parole est désormais brûlante de la Sienne. Sur le champ, ils quittent la sécurité de la maison. Ils se remettent en route et refont ce qu’ils ont défait en quittant la Communauté. Ils s’y rendent poussés par le Souffle qui les a animés. D’Emmaüs à Jérusalem. Et avant même de raconter leur rencontre, ils se mettent à écouter le témoignage des Apôtres et de leurs compagnons. Évangélisateurs évangélisés! Les voilà devenus missionnaires de la Rencontre et de la communion avec les Onze.

Tant de routes peuvent nous éloigner de la foi en Christ. Tant d’épreuves peuvent nous décourager de la Communauté au point de vouloir la quitter pour nous fermer sur nous-mêmes. Grâce à la présence du Christ au milieu de nous, avec ou sans les signes de Son passage, nous savons que la foi se parcourt et se reçoit petit à petit. Avant toute proclamation, il nous faut la patience de Le chercher pour Le trouver et Le savoir proche. Le chemin d’Emmaüs et la table de l’auberge se prêtent au dévoilement de Sa Parole et de Sa présence. L’évangélisation s’apprend avec le sacrement de l’autre en chemin. « Là où deux ou trois se réunissent en mon Nom, je suis au milieu d’eux ! »

vol. 129, no 2 • Septembre 2024

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