RETOUR SUR LE SYNODE DES FEMMES
ELODIE EKOBENA, Centre justice et foi
L’on ne peut s’empêcher de se poser la question consistant à essayer de savoir comment l’Église serait-elle renouvelée si l’on ne laisse pas l’Esprit agir à travers la participation de toutes et tous ?
Comment une Église égalitaire peut-elle mieux remplir sa mission ?
Le synode des femmes tenu à Montréal les 13 et 14 octobre 2023 avait pour « objectif de vivre un synode parallèle, fondé sur des principes d’égalité, de justice et de participation de toutes et tous ». Ces éléments ont fait partie des enjeux abordés par les intervenant.es des trois panels. Je reviens dans ce texte sur quelques éléments ayant été évoqués lors des différentes présentations.
PRATIQUES ET MÉCANISMES SE VOULANT ÉGALITAIRES
Les trois panélistes dont je faisais partie ont été invitées à répondre à la question : Comment une Église égalitaire peut-elle mieux remplir sa mission ? Nous avons présenté chacune des éléments qui s’appuyaient sur nos expériences communautaires et personnelles. Marie Evans Bouclin, membre du mouvement des Femmes prêtres catholiques et Darla Sloan de l’Église Unie du Canada ont offert chacune une réflexion sur les pratiques et les mécanismes se voulant égalitaires, mis en œuvre dans leurs communautés chrétiennes. Pour l’une, leur modèle d’Église est inclusif et transgressif dans la mesure où il est ouvert à tous les profils de femmes et ne se soumet pas au Canon 1024 qui stipule que seuls les hommes peuvent être ordonnés, et ce malgré le risque de se faire excommunier. Pour l’autre, la communauté s’appuie davantage sur le discernement collectif. Ce qui a un effet bénéfique en termes d’inclusion dans le ministère et sur la façon plus égalitaire de prendre en considération la diversité des points de vue, même lorsqu’ils sont divergents et antagoniques. Elle illustre cela en prenant pour exemple la bénédiction et le sacrement du mariage des couples de même sexe. Lorsque les communautés de foi ne sont pas d’accord, elles discernent pour savoir comment procéder : notamment en invitant les paroisses qui refusent ces mariages à référer les couples à une autre communauté de foi. De sorte que « l’Église continue d’accomplir son ministère en se mettant au service du plus grand nombre, dans le respect et l’humilité ».
À l’instar du mouvement des femmes prêtres au sein de l’Église catholique, le sexe, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ne sont pas des obstacles pour accéder à l’ordination au sein de l’Église Unie. Par leurs pratiques et mécanismes se voulant égalitaires, ces deux communautés s’évertuent à être des exemples d’une Église riche de son savoir-faire. Ce qui devrait, disent-elles, inspirer l’Église catholique en l’amenant à se reformer avec humilité pour faire fructifier la diversité de dons, d’appels, de points de vue et de perspectives.
DES INÉGALITÉS ENTRE FEMMES À CONSIDÉRER
Cependant, comme je l’ai rappelé dans ma présentation, poser la question de l’égalité au sein de l’Église suggère déjà implicitement que celle-ci existe déjà. Or, lorsqu’on est issue d’un monde soumis de façon continue à la violence coloniale et à la domination des uns et des unes sur les autres, et sachant le rôle dévolu à l’Église autant pendant l’esclavage que durant la période coloniale, une telle question reste pour le moins surprenante.
En s’appuyant sur l’exemple de la communauté des femmes dont je suis issue, j’ai tenu à montrer que non seulement la question de l’égalité n’est pas abordée dans les mêmes modalités [1], mais aussi le mot égalité lui-même n’a pas d’équivalence dans ma langue maternelle. J’ai rappelé que ma communauté partage une vision très proche des féministes autochtones d’ici : elle considère par exemple que l’accès effectif aux droits ne doit pas négliger la reconnaissance pleine et entière des hommes de leurs communautés. Cela m’a amenée à me demander dans quelle mesure le féminisme de la tradition chrétienne québécoise est prêt à intégrer ces nouvelles dynamiques et perspectives en vue de réfléchir à nouveaux frais aux enjeux du pluralisme les concernant? Même en prenant des femmes racisées comme interlocutrices un questionnement demeure : celles-ci sont-elles considérées comme des objets d’étude ou des sujets politiques autonomes dotés d’une véritable capacité d’agir ?
CHERCHER ET TROUVER DIEU DANS LES MARGES :
CAS DES JEUNES ADULTES
Dans le cadre du deuxième panel, quatre jeunes adultes ont été invité.es à réfléchir autour de la question suivante : Comment concilier l’engagement pour la justice, la fidélité à l’évangile et l’engagement dans l’Église ? La plupart de ces jeunes ont appris, par la force des choses, à chercher et à trouver Dieu « dans les marges ». Ayant vécu « l’isolement » au sein de l’institution, leur démarche les a amené.es à rechercher des lieux où se vit et se partage une « foi authentique ». Ces lieux, plus rares[2], accueillent une « libre parole » et acceptent que celle-ci s’exprime en toute singularité. Ce qui détonne par rapport aux lieux plus conservateurs dans lesquels gravitent d’autres jeunes adultes dont le discours parfois réactionnaire est jugé préoccupant et aux effets néfastes et anxiogènes.
Par ailleurs, les préoccupations des jeunes de ce deuxième panel ainsi que les perspectives présentées sur les femmes racisées au sein du premier panel auront proposé une perspective alternative quant à leur rapport à l’Église. Ce qui conduit à se questionner dans quelle mesure cela sera-t-il véritablement pris en considération ?
SIGNIFICATION DE LA DÉMARCHE SYNODALE POUR LES FÉMINISTES
La question se pose d’autant plus que les perspectives présentées par les femmes européennes du 3e panel quant à la signification de la démarche synodale pour elles et pour l’égalité dans l’Église paraissaient situées. Elles ne divergeaient pas fondamentalement des questions portées ˗ aussi légitimes soient-elles ˗ par les féministes chrétiennes québécoises, telles l’égalité des genres en Église, les abus sexuels, le cléricalisme et le patriarcat.
Anne Guillard, du groupe Oh My Goddess! a proposé une réflexion sur la notion de « nature », afin de réinterroger l’enjeu du genre dans l’Église catholique. Martine Floret, membre du Réseau des femmes en Église, s’est questionnée sur les retombées du synode de Rome sur les revendications concernant les femmes. Elle a tout particulièrement souligné les efforts de l’Église catholique dans certains cantons suisses sur la reconnaissance de la place des femmes. Margit Eckholt, présente à Rome, partageait son optimisme découlant des discussions auxquelles elle a assisté et participé. Elle saluait la place faite aux femmes et mentionnait l’écoute dont faisait preuve les personnes présentes. L’écoute aura également été soulignée par l’une des 35 participantes du synode disposant d’un droit de vote : Catherine Clifford, théologienne à l’Université St-Paul. Celle-ci, lors de l’entrevue en direct le 14 octobre en matinée, a témoigné de ce qui se vivait à Rome tout en nous partageant ses impressions sur ce qui se disait autour des tables et son ouverture à rester en dialogue avec les autorités ecclésiales.
CONCLUSION
En conclusion, les présentations des panélistes durant ce synode des femmes ont soulevé des enjeux et pointé des défis concernant l’Église. Celles-ci auraient dû faire l’objet d’un suivi sous la forme de discussions en petits groupes, pour être ensuite partagées lors des grands cercles de parole. Or, cela n’aura pas eu lieu : le comité avait déjà identifié ses stratégies et axes de travail. L’on ne peut s’empêcher, pour finir, de se poser la question consistant à essayer de savoir comment l’Église serait-elle renouvelée si l’on ne laisse pas l’Esprit agir à travers la participation de toutes et tous ?
NOTES
[1] Françoise Vergès, Un féminisme décolonial, Paris, La Fabrique, 2019.
[2] Le Centre justice et foi a été donné en exemple.