EN PLEINES TURBULENCES
SUZANNE LOISELLE
Nous vivons dans un monde de plus en plus fragilisé, fracturé, instable, imprévisible. Dans pareil contexte, les femmes, les hommes, les jeunes ont soif de fraternité/sororité, de partage, de justice, de paix.
« L’optimisme n’est pas une lecture qu’on fait de ce qui se passe. C’est une décision qu’on prend. Ce qui permet de se mettre en action. »
FERNAND DANSEREAU
REGARDS SUR LE MONDE D’AUJOURD’HUI
La guerre meurtrière en Ukraine entre dans sa 2e année, les budgets militaires de nombreux pays dont le Canada s’accroissent à un rythme affolant, le climat se dérègle un peu partout, tout cela nous faisant presque oublier la récente pandémie mondiale et ses conséquences irréversibles. Des séismes dévastateurs viennent de frapper durement la Turquie et la Syrie, les tensions montent entre la Chine et les États-Unis, l’expansion des colonies israéliennes reprend de plus belle, Haïti s’effondre sous le contrôle de gangs armés, les frontières au Nord deviennent de plus en plus des barbelés. Face à tant de crises, que celles-ci soient d’ordre politique, sécuritaire, humanitaire, environnemental, tout porte à croire que l’ONU est impuissante.
Plus près de nous, les services publics, tels la santé et l’éducation se détériorent de manière accélérée, la crise du logement prend de l’ampleur et les évictions de locataires ont plus que doublé en 2022. La montée de la violence prend toutes sortes de formes: féminicides et disparitions de femmes autochtones, attaques contre une mosquée à Québec et contre une garderie à Laval. Des scandales sexuels de membres du clergé et de communautés religieuses sont révélés au grand jour, des personnes aînées et vulnérables sont maltraitées des personnes migrantes sont victimes de politiques discriminatoires. La relative quiétude dans laquelle nous vivions semble s’évanouir. Du moins pour maintenant et peut-être pour de bon.
POUR Y VOIR DE PLUS PRÈS
Nous vivons dans un monde de plus en plus fragilisé, fracturé, instable, imprévisible. C’est vrai tant ici au Québec qu’ailleurs à l’international. Que l’on pense à l’appauvrissement des populations, aux luttes de pouvoirs, aux crises de la démocratie, à la concentration de la richesse, à la perte de repères. Dans pareil contexte, les femmes, les hommes, les jeunes ont soif de fraternité/sororité, de partage, de justice, de paix. Me reviennent quelques passages du chant Vienne le temps d’aimer de Didier Rimaud, jésuite et poète, d’origine bretonne, décédé il y a tout juste vingt (20) ans :
Vienne le temps de la fraternité !
Vienne le temps des biens et du pain que l’on partage !
Vienne le temps des solidarités dans ce monde à recréer !
Vienne le temps des peuples qu’on libère !
Vienne le temps des armes qu’on enterre !
Vienne le temps d’accueillir l’étranger !
Car notre Dieu est un Dieu de justice.
Ce chant ne vieillit pas et trouve encore aujourd’hui tout son sens: partager le pain et les biens, créer des solidarités, libérer les peuples de l’oppression, militer contre les guerres et pour l’abolition des armes, accueillir l’étranger/l’étrangère. Autant d’exigences concrètes d’un engagement enraciné dans le Québec et le monde d’aujourd’hui. Cet engagement, à la fois social et politique, ne fait-il pas partie de la vie spirituelle?
L’HUMANITÉ EN QUÊTE D’UNITÉ
Si cette vie spirituelle se nourrit de l’engagement pour la justice et pour la paix, elle se nourrit aussi de la quête de l’unité dont l’humanité a tant besoin. Ces rapprochements entre les humains ne font-ils pas partie du monde nouveau et de la terre nouvelle annoncés dans l’Apocalypse ? Voici, je fais toutes choses nouvelles (Ap. 21, 5) faisant écho au prophète Isaïe Voici que moi je vais faire du neuf qui déjà bourgeonne; ne le reconnaîtrez-vous pas (Isaïe 43, 19). Faire du neuf ne s’inscrit-il pas dans notre désir profond de nous faire proche les unes et les uns des autres, d’abolir les écarts entre les riches et les pauvres, d’éliminer toutes les formes de discriminations, de lutter contre tout ce qui divise (sexisme, racisme, colonialisme, intégrisme, dogmatisme, etc.). L’unité n’est ni un vœu pieux, ni un discours creux ; elle se construit dans la recherche/action visant à faire du neuf dans les relations humaines, en rendant possible une plus grande égalité entre les femmes et les hommes, dans la reconnaissance de leur diversité et le respect de leur altérité.
Miser sur un « monde en besoin d’unité », c’est miser sur la foi en l’humain, sur la conviction qu’un autre monde est non seulement possible mais nécessaire, sur la promesse de Dieu de faire du neuf. Et déjà celle-ci bourgeonne dans notre monde inégal, violent, fracturé. Elle est à discerner dans les changements en cours en faveur de la dignité de tous les humains et de la sauvegarde de la planète. Pour la suite du monde, les défis et les responsabilités sont immenses. Selon les mots si justes du cinéaste de la condition humaine, Ingmar Bergman, n’est-ce pas que notre voile est petite alors que la mer est si grande...
Pour trouver le souffle de s’engager dans ces processus de changements, il faut peut-être s’inspirer de témoins comme Fernand Dansereau qui, à 94 ans, nous partage sa conviction que « l’optimisme n’est pas une lecture qu’on fait de ce qui se passe. C’est une décision qu’on prend. Ce qui permet de se mettre en action. » (Le Devoir, 10 décembre 2022). Se mettre en action pour créer les conditions de rapprochement entre les humains selon le rêve de Dieu exprimé dans la prière de Jésus à la veille de son départ : Père, garde-les... pour qu’ils soient un comme nous sommes un (Jean 17, 11). L’unité dans l’amour mutuel.
POUR RETROUVER L’ESPÉRANCE
Alors que les affrontements, les divisions et les conflits de tous ordres sévissent à divers niveaux: personnel, local, international, le besoin d’unité est une aspiration profondément humaine. Mais plus qu’un besoin, l’unité est un projet sans cesse en devenir... Elle pourra prendre forme et tenir la route à travers nos engagements vécus dans le respect de la diversité, du pluralisme et dans une solidarité sans frontières. L’important est de transformer notre monde, non ?
Pour que cette transformation du monde advienne et que cette solidarité entre les humains et les peuples deviennent possibles, ne faut-il pas faire face à l’incertitude du réel, savoir qu’il y a du possible encore invisible. L’espérance est l’attente de l’inespéré comme l’écrit le sociologue et philosophe centenaire, Edgar Morin dans Leçons d’un siècle de vie. Tout est question de foi dans l’humain et dans la vie !