GENS QUI INSPIRENT
LUCILLE PLOURDE, UNE FEMME D’EXCEPTION
ROGER BELISLE sc
Toute la vie de Lucille Plourde témoigne d’un parcours singulier. Son engagement pour une cause noble s’est développé au fil du temps. Le texte révèle de quel bois elle se chauffe tout en présentant son aptitude à faire preuve d’une attitude toute respectueuse en femme soucieuse de donner la parole à toutes les personnes qu’elle réunit.
Femme frêle et assez modeste, Lucille n’en est pas moins quelqu’un de fort et capable de s’affirmer.
Lucille est née à Mont-Carmel dans la région de Kamouraska. Sa famille comptera huit enfants où elle grandira au centre de la fratrie. Son père devient entrepreneur et opère un moulin à scie, puis il se lance en politique provinciale et est élu député durant une quinzaine d’années sous la houlette de Maurice Duplessis.
Toute la vie de Lucille témoigne d’un parcours singulier. Je me considère chanceux de l’avoir connue et d’avoir partagé quelques coanimations à ses côtés. Sachez que la rencontrer me procure toujours de la joie.
Femme frêle et assez modeste, Lucille n’en est pas moins quelqu’un de fort et capable de s’affirmer. Et il y a encore chez elle une telle jeunesse qu’elle me fait penser à Maude dans l’excellent film Harold et Maude[1], cette histoire d’amour entre un jeune homme et une dame octogénaire.
Ces quelques mots vous donnent-ils envie de la connaître ?
Elle complète quatre ans d’école normale chez les Ursulines de Québec et enseignera ensuite pendant deux années. Attirée par la vie contemplative, elle rentre au Carmel de Québec et y demeure quelques années seulement puisqu’elle prend conscience qu’elle n’est pas faite pour une vie cloîtrée. À sa sortie, on la voit s’inscrire en catéchèse à l’Université Laval. Elle y rencontre un professeur qui l’aura impressionnée : Jérôme Régnier, un prêtre français, fondateur de l'École Missionnaire d'Action Catholique et d'Action Sociale [EMACAS] à Lille. Cet abbé venait chaque année donner un cours à l’institution d’enseignement universitaire de Québec. Parallèlement à ses études, Lucille rencontre un Haïtien réfugié politique de qui elle aura une fille, Virginie. Mais l’abbé Régnier l’aura marquée au point qu’elle s’inscrit à l’école d’action catholique lilloise fréquentée très majoritairement par des prêtres et membres de communautés religieuses. Entourée de l’amitié de ses pairs étudiants, elle y poursuit sa grossesse et accouche de Virginie au temps des Fêtes.
À son retour, elle est engagée aux Services diocésains de l’archidiocèse de Québec. À cette époque de l’histoire de la province, Lucille s’est vu confier un emploi pour lequel elle a certainement dû bénéficier de la complicité de son patron, prêtre, qui a reconnu en elle des qualités de foi, de pédagogues et de créativité. J’ai personnellement été à même de constater de telles qualités chez elle, car Lucille offre l’exemple d’une femme bien dans sa peau, à la foi mature, qui a grandi en tant qu’être humain épanoui et libre.
Un second emploi lui permet de faire valoir ses compétences comme conseillère pédagogique pour une Commission scolaire[2] gatinoise. Elle a été prêtée un temps à l’Office de Catéchèse du Québec [OCQ] pour y préparer du matériel d’enseignement moral destiné aux enfants de niveau quatrième, cinquième et sixième années du cours primaire. Lucille contacte un auteur-compositeur à qui elle donne des commandes de chansons à créer pour rendre plus attrayants les thèmes développés en modules.
Durant ces années gatinoises, elle rencontrera Marc-André Tardif, Spiritain qui aura exercé précédemment son apostolat au Zaïre. Il quitte la communauté et on l’emploie à temps partiel comme responsable des communications à l’archidiocèse de Gatineau - Hull. Une telle réorientation de projet de vie ne signifie pas que son initiateur a perdu la foi. Monsieur Tardif, devenu le conjoint de Lucille, collabore à la revue Vie liturgique. Fondateur de l’Association des Familles Souche Tardif, il publie une revue semestrielle à laquelle collabore Lucille.
DES ANNÉES DE CROISSANCE
Tient-elle de son père, cette aptitude à l’engagement pour une cause noble développée au fil du temps ? Quoi qu’il en soit, les lignes qui suivent révèlent de quel bois elle se chauffe.
Le projet social Neufbourg
En 1976, un groupe de personnes amies, motivées par le rêve d’un projet de société égalitaire entreprend d’acheter un domaine où y construire leur maison familiale respective à Cantley. Neuf familles participent à ce projet urbanistique hors du commun. Ces familles fréquentent la paroisse locale démunie de services. Or et rapidement, elles s’impliquent pour la dynamiser. Mais à cette époque, l’endroit faisait partie de Gatineau sans pouvoir compter sur des services municipaux satisfaisants. C’est alors que les citoyens ont obtenu la défusion du secteur. Or le premier maire de Cantley est issu du Projet Neufbourg.
À l’approche des élections provinciales, les membres neufbourgeois soutiennent la candidature de Marc-André Tardif comme porte-couleur du parti québécois. Il faut saluer l’audace du conjoint de Lucille qui s’est porté candidat dans une circonscription électorale majoritairement anglophone. Quoi qu’il en soit des résultats du scrutin, les années « Cantley » ont fait vivre à Lucille et Marc-André de fort bons moments d’implication où les membres de ce domaine ont appris à développer une conscience citoyenne. Après vingt-trois ans vécus paisiblement au Projet Neufbourg, leur départ aura été commandé par l’inscription de leur fille Virginie dans une prestigieuse école de danse montréalaise.
Marc-André chérit Virginie comme sa propre fille et les parents ont raison d’être fiers d’elle. Ils savent offrir leur soutien à la jeune mère qui leur a procuré deux beaux petits-enfants, aujourd’hui jeunes adultes. Le couple a un jour été invité à partager son expérience de grands-parents dans une intéressante monographie[3].
La Communauté de base (CdB) des Chemins
Le concept de communauté de base est développé principalement en Amérique latine dans la foulée du Concile Vatican II. Ce qui n’a pas empêché que prennent forme des versions plus locales d’expériences pour susciter de nouvelles façons de vivre la foi en petites communautés ouvertes sur leur milieu où vivre l’évangile au quotidien. Cette CdB initiée par Feu le jésuite Guy Paiement réunit durant la décennie quatre-vingt de jeunes adultes tant célibataires qu’en couples qui se fréquentent de manière périodique pour partager leur foi. Or l’immeuble où se rassemble la communauté abrite une coopérative d’habitation[4] qui compte alors un logement vacant. C’est avec plaisir que la petite famille Tardif y emménage et s’engage dans ce regroupement.
La militante de Développement et Paix (DeP)
Un des plus importants organismes canadiens d’aide aux pays pauvres, Développement et Paix [DeP] représente le bras canadien de Caritas internationalis. J’y ai rencontré Lucille lors des journées de présentation des thématiques de campagnes organisées par le personnel d’animation régionale. Ces sessions fonctionnent selon une pédagogie populaire développée par l’Action catholique. À travers des activités interactives où s’exprime la créativité des membres, j’ai eu l’occasion plus d’une fois, d’entendre Lucille réagir positivement et toujours sur un mode très personnel aux thèmes annuels préparés en concertation avec d’autres ONG catholiques nationales. Celle dont je vous présente le parcours de vie a rassemblé pour animation un groupe local DeP sur le Plateau Mont-Royal. La Coopérative d’habitation évoquée plus haut disposait de salles communes. Or à titre de résidente sociétaire, elle nous y accueillait pour des rencontres périodiques. En femme d’action, Lucille insistait pour que le groupe local mène des actions concrètes. Comme elle avait développé des contacts avec la personne responsable de la programmation d’activités de la Maison de la culture (MdC) du Plateau Mont-Royal, nous avions pris l’habitude d’offrir chaque hiver une activité de présentation du thème de la campagne annuelle d’éducation. Autre exemple révélateur de Lucille, elle coorganisait une levée de fonds durant le Carême de partage annuel par le biais d’une activité où se mêlait présentation d’un visiteur de l’Hémisphère Sud associé à un groupe partenaire de DeP et frugal repas partage. Elle a aussi donné de son temps lors d’opération postale où l’organisme catholique devait acheminer du matériel de campagne aux membres.
UNE CROYANTE QUI SE RESSOURCE
Le Centre de pastorale en milieu ouvrier [CPMO] a été fondé pour former des baptisés à l’engagement social. Si au départ, il s’adressait aux prêtres, le Centre s’est rapidement ouvert aux laïcs afin d’y poursuivre son objectif et de préparer simultanément des agents multiplicateurs. Résolument autonome face à la hiérarchie de l’Église catholique, le CPMO poursuit désormais sa mission d’acteur du christianisme social au Québec sous l’appellation Carrefour de participation, ressourcement et formation [CPRF][5]. Lucille a déjà siégé sur son Conseil d’administration. Par ailleurs, elle s’est inscrite à plusieurs sessions de cours bibliques au Centre Saint-Pierre.
UNE RETRAITE ACTIVE
Lucille milite à l’Association des Retraités de l’Enseignement du Québec [AREQ]. Je ne serais pas surpris d’apprendre qu’elle ait déjà participé à la Collective L’Autre parole, un mouvement qui s’inscrit résolument dans le courant féministe vécu comme signe des temps tel qu’en parle Vatican II. Elle poursuit toujours son implication à la Communauté de base des Chemins en y exerçant un leadership discret.
EN CONCLUSION
Quel lien dessiner entre le thème de ce numéro portant sur le synode et la personne inspirante que je viens de présenter?
Dans sa thèse de doctorat portant sur l’analyse de trois synodes diocésains de France, l’universitaire et théologien québécois Gilles Routhier mentionne que toutes les propositions émanant des participantes et participants doivent être consignées dans le rapport final ; autant celles compatibles avec le droit canon qui seront présentées dans les pages de droite et les autres dans les pages de gauche. Si les rapporteurs sont fidèles aux propos formulés lors de cet exercice de consultation ecclésiale, ne pas éluder ceux qui prendront place dans les pages de gauche témoigne d’un respect humain élémentaire. Or et dans cette attitude toute respectueuse, je reconnais les qualités d’animatrice de Lucille, la femme soucieuse de donner la parole à toutes les personnes qu’elle réunit.
La côtoyer constitue pour moi un réel cadeau de la vie. Quelle vie féconde, chez Lucille !
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[1] Sorti en 1971, Harold et Maude est un film américain réalisé par Hal Ashby sur la base d'un scénario de Colin Higgins.
[2] Connue depuis peu comme Centre de Services Scolaires.
[3] Lucille Plourde et Marc-André Tardif, Tel un caillou qui n’en finit plus de faire des ronds dans l’eau. Montréal, Éd. Paulines / CPRF, 80 p.
[4] La Coopérative d’habitation Marie-Gérin-Lajoie sise rue Sherbrooke Est.