*ARTICLE PARU DANS L’ACTUALITÉ, JANV.-FÉV. 2021
Vous les connaissez ces femmes souvent venues d’ailleurs, en service auprès de nos aînés dans les CHSLD du Québec ? Que n’a-t-on pas dit d’elles ou plutôt, qu’avons-nous oublié de dire de ces préposées aux bénéficiaires et de leur engagement dans les soins de santé ? Fallait-il la pandémie pour nous montrer ce que l’humanité avait de meilleur? Au plus profond de la crise, les médias mettaient de l’avant Marie-Ève Lévesque avec ses classes sur le web, Laurent Duvernay-Tardif, le médecin et footballeur médaillé, allant prêter main-forte au personnel dans les CHSLD.
« La tragédie a enfin révélé tout le mérite des préposés aux bénéficiaires, ces travailleuses et travailleurs jusqu’ici considérés comme de la main d’œuvre indispensable mais qui n’intéresse personne. »
UN HOMMAGE BIEN MÉRITÉ
L’équipe du magazine L’Actualité a voulu rendre hommage aux personnes qui ont marqué l’année 2020 par un effort collectif de qualité de présence et de lutte contre le virus… Elle aurait pu nommer les scientifiques, les figures politiques marquantes de la santé, mais elle a préféré nommer quelques héroïnes de l’ombre, Manouchka Étienne, Jolive Antoine, Joséphine Manuel, Gerda Jérôme, Guylène Gabriel et tant d’autres, associées à la déchéance du corps, à la démence et à la mort. Quelques-unes y travaillent depuis plus de 25 ans. Patricia Hotte aime répéter qu’elle a été « achetée » en même temps que la bâtisse et elle badine en ajoutant qu’elle venait « en prime avec les meubles. »
Mais qu’est-ce qui a motivé ces dizaines de milliers de préposés (majoritairement des femmes) à demeurer en service au cœur de la tempête, sachant même que leur vie était en péril ? Un député venu porter secours au personnel durant deux semaines évoque le courage, la sensibilité, la tendresse et l’amour de ses femmes pour nos aînés malades, souvent affligés de démence et parfois oubliés, une clientèle lourde dont les besoins affectifs sont importants. Jolive ajoute : « C’est nous qui sommes les plus près des patients ; on passe beaucoup de temps avec eux. Comme ils sont en lourde perte d’autonomie, nous sommes leurs yeux, leurs bras, leurs jambes ». Certaines ajoutent : « ils deviennent notre famille » ou encore, je le fais en pensant que j’assiste ma mère. »
LE BIEN-ÊTRE AFFECTIF
Les préposés veillent aussi au bien-être affectif des aînés dont bon nombre reçoivent peu ou jamais de visites. « On les fait rire, on les console, on apaise leurs angoisses, énumère Caroline; en somme, on s’organise pour qu’ils se sentent importants, quitte à rester plus tard pour finir nos tâches. » Les PAB se fendent en quatre pour adoucir les jours des résidents, assure Chantal. Elle évoque un déjeuner organisé avant la pandémie par son équipe pour faire plaisir à des aînés qui rêvaient d’œufs au plat avec le jaune coulant. Tout le département était arrivé à 6 h avec des plaques de cuisson, du pain de ménage et du bacon. Un monsieur en pleurait de joie. Et puis, il y a cette collègue qui teint à ses frais les cheveux d’une dame sans famille; cette autre qui achète des produits pour faire des bains de pieds… Un dévouement discret, dit-elle qui ne fera jamais les manchettes.
UNE ENVOLÉE D’OISEAUX
La clientèle de personnes âgées souffre souvent de pertes cognitives, et dans cet accompagnement, il y a de bonnes comme de mauvaises expériences. Délisa Nadine se souvient de ce patient qui croyait qu’il ne pouvait pas aller à la cafétéria parce qu’il n’avait plus de carte de crédit. « Je lui ai fabriqué une carte à l’ordinateur et je lui ai dit que c’était sa famille qui me l’avait envoyée pour lui ». « C’est comme mes poussins, je sais que je les ai avec moi jusqu’à leur mort » soutient Marie-Josée Frappier, une ex-pâtissière reconvertie en préposée. Tous les dimanches, avant la COVID, elle distribuait ses fameux cupcakes maison. « Une journée, j’en ai perdu sept, emportés par le virus. » Une des résidentes l’a attendue toute une fin de semaine avant de mourir; elle voulait « sa » Marie-Jo.
Quand le virus aura levé le camp, Marie-Josée promet de se faire tatouer au poignet une envolée d’oiseaux, œuvre d’une collègue infirmière, en hommage à ses « poussins » qui sont morts, mais aussi pour se rappeler à quel point la crise l’a fait grandir. « J’ai découvert en moi une force que je sous-estimais. Ça me rend un peu émotive de le dire : Mes filles m’ont vu braver l’ennemi pour apporter du réconfort à des gens et elles sont fières de moi ».
Le Samaritain, ému de compassion, se pencha sur cet étranger,
le traitant comme un frère et il prit soin de lui en faisant
tout ce qui était en son pouvoir.
Ici, oui, peut-être pourrons-nous trouver un sens à ce drame qu’est la pandémie qui affecte l’humanité : celui d’éveiller en nous la compassion et de provoquer des attitudes et des gestes de proximité, de soin, de solidarité et d’affection.