Pendant plusieurs semaines j’ai cherché une ou un témoin de tendresse dans mes contacts, dans mes allées et venues, et je ne trouvais pas le candidat ou la candidate. Un certain jour, j’ai découvert que je côtoyais presque quotidiennement la candidate recherchée.
« Je t’ai cherché longtemps… je t’ai cherché partout… je te croyais dehors, tu étais au-dedans, Dieu. »
Saint-Augustin
La phrase magique de Saint-Augustin m’a bondi en plein visage et en plein cœur : « Je t’ai cherché longtemps…je t’ai cherché partout… je te croyais dehors, tu étais au-dedans, Dieu ». Oui, la tendresse personnifiée était tout près de moi et je ne le voyais pas. Et le déclic s’est fait. Fort discrète et réservée, allait-elle accepter le défi de s’ouvrir à la rencontre ? Et ce fut un oui de la plus belle spontanéité de la part de Thérèse.
Thérèse, assez discrète sur son milieu familial, ne nie pas que sa première découverte de l’attention aux personnes et aux personnes malades prend racine en ce premier lieu de croissance sur tous les plans qu’est la famille. Comme jeune adulte, elle travaille comme préposée aux bénéficiaires. Elle s’empresse de dire, que le soubresaut qu’elle connaît aujourd’hui est un engagement qui sommeillait en elle. Elle parle même de « passion » pour le soin des malades. On y reviendra plus loin.
La proximité avec les personnes ne diminue pas chez Thérèse un désir de vie érémitique, une vie de silence et de prière et de contemplation de Dieu. L’ermite vit comme une grande famille son lien avec Dieu et avec les priants et les priantes du monde entier. Thérèse prend le chemin d’une vie érémitique qu’elle considère comme une tendresse de Dieu envers elle. Elle vit comme un déplacement de sa propre tendresse et attention aux personnes en réponse à la bonté de Dieu envers elle. Elle s’engage dans une vie de dépouillement, d’une grande sobriété pour faire place à l’Être divin et spirituel. Ses paroles ne sont pas que des mots, elles traduisent sa vraie vie intérieure.
CHANGEMENT ET DÉFI
Elle a été contrainte, il y a quelques années, à vivre sa vie de calme et de paix, au cœur de la grande ville de Montréal, lieu et habitat n’alliant pas silence et paix à la vie intérieure. Elle recherche donc le lieu désiré. Elle trouvera un lieu en pleine nature, bien désiré, qui révèle quelques embûches qu’il n’est pas nécessaire de relever. Les personnes présentes, formant mini communauté, posent rapidement le défi de l’amour du prochain et de Dieu. Entendons l’amour comme un appel à la tendresse et la bonté.
Une dame âgée du nom de Marie, une dame dont toute la vie a été expression de miséricorde, est en perte d’autonomie et nécessite de grands soins. Thérèse est travaillée jusqu’aux entrailles. Marie recevra en récompense, comme retour de balancier, par la décision de Thérèse, les soins semblables à la miséricorde qu’elle a toujours donnée. Ayant en mémoire son emploi de jeunesse, Thérèse devient aidante naturelle, mettant à profit son aisance avec les soins infirmiers de base et sa compétence de préposée aux bénéficiaires. Habitant la même résidence, sa disponibilité ne compte pas les heures et n’a pas d’horaire. «Le Seigneur me poussait, dit-elle, et j’ai plongé ».
Le projet de vie, dans la tendresse paisible en Dieu, devient contemplation du Christ, dans les soins à la personne âgée. C’est vrai la parole de Jésus : « Ce que vous faites au plus petit des miens, c’est à Moi que vous le faites ». Thérèse n’a laissé en rien son projet de silence et de prière. La prière porte le nom d’une personne humaine. Le soin des malades devient une passion enrobée de l’amour fraternel.
Marie connaît des passes difficiles, des temps de faiblesse qui nécessitent chez l’aidante des attitudes et comportements authentiques. Thérèse insiste sur la nécessité du renoncement à soi-même qui devient comme le moteur de son action. Des conversations de grande qualité sur le sens de la vie, la dimension sacrée de la vie comme don de Dieu, le sens à donner au dépouillement et à la déposition de sa vie en Dieu sont la nourriture quotidienne des deux complices des soins.
LA PAIX PARTAGÉE
Thérèse termine son témoignage par trois belles dispositions qui imprègnent son action et son engagement envers l’autre. Il vaut la peine de les citer mot à mot : Ne jamais s’impatienter devant l’impatiente occasionnelle, ne jamais exprimer d’agressivité devant l’agressive occasionnelle, ne jamais afficher de déception devant la paix perdue. Pour Marie, c’est la paix qui compte, et cela devient la clé de l’action de l’aidante. Il importe de toujours ramener la paix par la parole, le regard, le geste et le mot d’excuse si imperfection du service accompli. La tendresse se manifeste dans le moindre geste et parole.
N’allons pas penser que Marie emmagasine tous les soins sans réponse. La tendresse engendre la tendresse de sa part. Elle traduit cela en reconnaissance, appréciation et admiration de la personne qui prend soin d’elle. Elle se sent traitée avec dignité et avec un profond respect. Et Thérèse d’ajouter que sa vie intérieure ajoute de la qualité à la grande humanité que son service de préposée exige. À l’occasion elle est guidée par la vie spirituelle qui prend le dessus. Le spirituel devient une dose d’énergie supplémentaire plus forte que soi-même.
La conclusion de cette chronique affirme deux constats incontournables pour le soin des personnes malades. La tendresse, comme de nombreuses qualités, se développe à tout âge et par la répétition des gestes concrets. La tendresse apportée dans les soins produit les bons fruits de la prolongation de la vie dans sa dignité. Elle apaise les inquiétudes et les angoisses du passage. La tendresse dans les soins est une paix partagée entre soignante et soignée.